Dans le feu de l’action
Ce n’est pas d’hier qu’on s’enflamme pour le brûlant liquide de la Terre
Ma vie de touriste volcanique n’est qu’une succession de rendez-vous manqués avec la lave. La lave vive, celle qui coulait dans le Pacifique en une hallucinante cascade rougeoyante au Kilauea hawaïen en janvier; celle du tropplein régurgité par l’Erta Alé en Éthiopie en novembre; celle encore qui glougloute à profusion dans le ventre en fusion du Piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion.
J’ai eu beau me pointer aussi souvent que possible au pied de certains des volcans les plus pétaradants de la planète, rien n’y fit: la guigne rouge s’acharne sur moi. Il y a une quinzaine d’années, j’ai même dormi cinq nuits d’affilée autour de l’Arenal, au Costa Rica, en espérant le voir
m’exploser en plein visage ou, au pire, apercevoir quelque giclure de magma frais. En vain.
Chasser le volcan actif dans son habitat naturel implique ce genre de frustration et de situation imprévisible, et même les cratères les plus bouillonnants de la terre prennent parfois quelques jours, voire plusieurs mois de répit — quand ce ne sont pas d’autres aléas qui s’en mêlent.
«En 1994, après une journée de marche à suffoquer dans la jungle indonésienne, nous avons passé toute la nuit assis à écouter les explosions du Dunoko, sous une pluie mêlée de cendres,
se rappelle Pascal Blondé. Finalement, nous n’avons jamais vu ce volcan: la météo n’était pas avec nous. Et il m’aura fallu attendre 2012 pour enfin voir son cratère lors d’un autre périple. » Depuis plus de 35 ans, cet ingénieur français de 54 ans part une, sinon deux fois par année en quête d’un volcan actif quelque part sur la planète. Comme tant d’autres groupies des montagnes de feu, il a pu à maintes reprises «voir du rouge», essentiellement avec Aventure & Volcans, l’un des premiers voyagistes à occuper ce créneau, et qui est réputé pour ses voyages éclairs lorsqu’une éruption imprévue se produit.
Depuis quelques années, Aventure & Volcans a de la concurrence, et au-delà des voyagistes spécialisés comme lui (Magmatrek, Hawaii Forest & Trail, Volcano Live…), de petits joueurs montent sur la scène du pyrotourisme volcanique.
Déjà, en 2010, quand le volcan islandais Fimmvörðuháls est entré en éruption, on a pu assister à une véritable ruée vers l’or rouge, quand des centaines de volcarazzi ont délié leur gousset pour voir de près des colonnes et des geysers de lave, en traitant avec des entreprises qui ont flairé la bonne affaire. Mais qu’est-ce qui fascine tant les volcanophiles ?
« Beaucoup de choses ! dit Tanguy de Saint-Cyr, gérant et guide d’Aventure & Volcans. Assister à une éruption au moins une fois dans sa vie, comprendre les phénomènes géologiques, vivre des sensations fortes et admirer la beauté des paysages volcaniques, entre autres.»
« Personnellement, ce qui m’attire, c’est de savoir que les volcans sont à la fois destructeurs et bâtisseurs, explique Pascal Blondé. Lorsqu’on est proche d’un lac ou d’une coulée de lave, on se sent bien petit face à une telle énergie; lorsqu’on s’en éloigne, on voit comment la vie s’installe rapidement.»
De fait, plus d’un demi-milliard de personnes vivent à proximité de volcans, actifs ou pas, essentiellement pour profiter de la richesse des sols.
Ce n’est pas d’hier qu’on s’enflamme pour le feu liquide de la terre. Dans les années 1920, on se rendait déjà à Hawaï pour tâter de la roche ignée, tandis qu’en Sicile, l’Etna et le Stromboli allument les fanas de magma depuis des lunes. Mais, désormais, les innombrables liaisons aériennes, la quête d’expériences inoubliables et thématiques et surtout la prolifération des réseaux sociaux — où tout un chacun partage son petit exploit et donne envie à l’autre de faire de même — ont contribué à démocratiser le tourisme volcanique.
«En 1983, nous avions 150 clients par année; désormais, nous en avons jusqu’à 1700, dont plusieurs qui partent jusqu’à trois fois par année», indique Tanguy de Saint-Cyr.
Même s’il peut être frustrant de ne pas avoir vu du rouge, on ne rentre jamais vraiment bredouille d’une virée d’observation volcanique.
«Ce qui m’attire, c’est de savoir que les volcans sont à la fois destructeurs et bâtisseurs Pascal Blondé, ingénieur français qui, depuis plus de 35 ans, part une ou deux fois par année en quête d’un volcan actif sur la planète.
Comme me l’a déjà dit Rob Pacheco, proprio de l’agence Hawaii Forest & Trail, «quand tu pars à la chasse aux volcans, apprécie d’abord les lieux pour ce qu’ils sont; si tu vois de la lave, ce sera un bonus». De fait, le volcanisme se manifeste d’une multitude de manières : les coloris surréalistes du Kawa Ijen indonésien ou des volcans de l’Altiplano bolivien; les coulées de lave durcie qui scient en deux la Soufrière de Saint-Vincent-et-les-Grenadines; le basalte pareil à des cadavres entrelacés au Kamokuna hawaïen; les fumerolles matinales de l’El Tatio chilien; les coulées iridescentes de l’Hekla islandais; et les troublants bouillons du Boiling Lake, sur l’île de la Dominique, dont les eaux peuvent atteindre jusqu’à 90 °C.
Au surplus, partir à la découverte d’un volcan sous-tend bon nombre de volets culturels, rituels et fauniques, qu’on prenne part à une randonnée de quelques heures ou à un trek de plusieurs jours. Ainsi, aux Célèbes (Sulawesi), une cérémonie funéraire toraja précède l’ascension du Lokon et du Soputan. «Et sur l’île d’Ambrym, au Vanuatu, l’accès à la caldeira et à ses deux lacs de lave n’est possible qu’après l’accord du chef du village et l’aval du sorcier», se souvient Pascal Blondé.
«Les gens viennent avec nous d’abord et avant tout pour les volcans, mais ils s’intéressent aussi à autre chose, dit Guy de Saint-Cyr, fondateur d’Aventure & Volcans et père de Tanguy. Il serait d’ailleurs bien dommage de ne pas faire un saut au temple de Borobudur en allant au Merapi, ou de ne pas observer les gorilles de montagne du Congo après avoir vu le plus grand lac de lave au monde, celui du Nyiragongo.»
«En
1983, nous avions 150 clients annuellement. Désormais, nous en avons jusqu’à 1700, dont plusieurs qui partent jusqu’à trois fois par année. Tanguy de Saint-Cyr, gérant et guide du voyagiste Aventure & Volcans.
Les yeux rougis par l’émotion
Cela dit, pour plusieurs, seule compte la quête du rouge vif, parfois jusqu’à en venir à jouer avec le feu. «J’ai souvent vu des gens marcher en sandales, ou avec leur bébé dans les bras, près de la lave en fusion du Kilauea, et je ne compte plus les fois où j’ai soigné des imprudents», dit Rob Pacheco.
Même quand on fait preuve de précaution, il peut arriver que le tourisme volcanique engendre de sacrées pétoches: après tout, ces pyromonstres demeurent indomptables et imprévisibles. «C’est souvent après coup qu’on se dit qu’on a eu chaud, note avec recul Pascal Blondé. En Indonésie, nous nous sommes ainsi retrouvés bloqués avec nos véhicules dans l’embouteillage monstre créé par les gens qui fuyaient le Merapi, entré en éruption. À un certain moment, des coulées pyroclastiques [nuées ardentes] ont dévalé ses pentes et tué une dizaine de personnes, à quelques kilomètres devant et derrière nous!»
Enfin, si certains volcans nécessitent le port de vêtements ignifuges, ou encore des cordages — c’est le cas pour descendre vers le lac de lave du Benbow, au Vanuatu —, d’autres n’exigent rien de spécial, ou presque. «À Hawaï, mieux vaut cependant enfiler des chaussures avec semelles cousues et non pas collées: le sol trop chaud les fait fondre, explique Pascal Blondé. Nombreux sont ceux qui terminent donc leur randonnée avec des chaussures rafistolées avec du fil de fer. Le même fil de fer qu’on utilise pour faire griller nos steaks au-dessus des coulées de lave…»