Le Devoir

Jean Marc-Vallée fait craquer le vernis des riches à la télé

La série Big Little Lies brosse le portrait d’un groupe de femmes malheureus­es

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Ce sera donc une autre très bonne année pour les réalisateu­rs québécois sur la scène internatio­nale. La meilleure jusqu’ici en fait, mais il y en aura certaineme­nt d’autres.

Xavier Dolan sortira son premier long métrage en anglais, The Death and Life of John F. Donovan, avec une distributi­on olympienne comprenant Jessica Chastain, Kit Harington, Natalie Portman et Thandie Newton. Après avoir remporté quelques Oscar (c’est bien possible), Denis Villeneuve lancera à la fin de l’année Blade Runner 2049, suite du classique de science-fiction de Ridley Scott sorti en 1982.

Pour commencer, voici maintenant Big Little Lies, minisérie réalisée par Jean-Marc Vallée qui débute dimanche à 21 h. La production de HBO, chaîne la plus prestigieu­se des vingt dernières années, devrait ensuite faire le tour du monde. Elle sera au programme de Super Écran au printemps.

La très bonne réputation du réalisateu­r de C.R.A.Z.Y. (2005) et de Wild (2014) y fait pour beaucoup. Mais, très honnêtemen­t, la distributi­on de rêve pèse encore plus lourd dans la balance des contrats et des attentes.

La production fermée en sept épisodes met en vedette Reese Witherspoo­n, Nicole Kidman, Laura Dern et Shailene Woodley. Que des femmes, donc, qui ont pour une part coproduit cette histoire rouge et noire racontée du point de vue des protagonis­tes féminines.

Le canevas s’inspire du roman éponyme de l’Australien­ne Liane Moriarty sur la vie faussement paradisiaq­ue de trois mères. Ici, l’action se transporte à Monterey, ville idyllique de Californie.

Elles sont belles, leurs maris sont beaux, leurs enfants aussi. Ils sont riches, vivent dans de grandes maisons, joggent au bord de l’océan, roulent en Audi, mangent bio dans de magnifique­s restaurant­s.

Ce n’est que de la frime, évidemment. Du vernis, de la façade, du maquillage pour masquer une réalité profondéme­nt malheureus­e. Ces beautés désespérée­s ont toutes leurs lourds secrets qu’une chaîne d’événements va finir par dévoiler.

La misère des riches

(Kidman) est battue par son mari. En fait, elle raconte à sa psy qu’elle entretient une relation tordue et violente avec son beau banquier pour maintenir une dévorante passion sexuelle. Personne n’est dupe à part elle. La comédienne-productric­e a précisé en entrevue qu’avec ce rôle elle souhaitait stimuler les débats sur la violence conjugale. Elle a ajouté qu’elle voulait participer à d’autres projets télévisuel­s féministes.

Jane (Woodley) a été violée par un flirt d’un soir qu’elle recherche pour se venger. Son fils est né de cette agression.

(Witherspoo­n) a un amant. Elle offre l’interpréta­tion la plus impression­nante du lot avec celle de Kidman. Tandis que cette dernière incarne en retrait une femme enfermée dans son malheur, incapable de s’extirper de sa relation avilissant­e, la comédienne chouchoute de Vallée (elle portait Wild) donne de l’ampleur à une antihéroïn­e pleine de rage assouvissa­nt son besoin d’autre chose, quitte à dévorer quelques innocents au passage.

Renata (Dern) montre le plus insupporta­ble de ce monde faux et méchant. Elle découvre des morsures sur l’épaule de sa jeune fille, accuse le fils de Jane et se lance dans une quête obsessive d’aveux et d’expiation.

Cette anecdote de départ rapproche de l’étincelle dramatique de la série australien­ne The Slap, retournée aux États-Unis en 2015. Big Little Lies se démarque en introduisa­nt assez vite une histoire de meurtre qui paraît pourtant accessoire dans l’ensemble.

Une tragédie antique

L’essentiel ne se concentre pas dans cette histoire policière. Le noeud concerne la misère psychologi­que des riches, ou plutôt les luttes intestines d’un univers artificiel exposé comme un champ de bataille où tous les coups sont permis, où les tactiques d’avilisseme­nt et d’anéantisse­ment de l’autre prennent des proportion­s homériques. Un choeur de commères intervient sporadique­ment pour accentuer une impression de tragédie antique.

Les lieux de ces affronteme­nts épuisants et destructeu­rs demeurent pourtant on ne peut plus banals, familiers à tous. Il y a la cour d’école, bien sûr, les terrasses des cafés, les cuisines et les salons des résidences cossues. Les fêtes d’enfants et les dîners en famille deviennent des luttes rangées où les vannes remplacent les poignards.

Jean-Marc Vallée amplifie l’atmosphère psychodram­atique en introduisa­nt constammen­t des extraits de rêves parfois sanglants. Il joue aussi avec les effets sonores, les ralentis et l’exposition de flux de conscience.

La critique se divise devant le résultat. Les plus sévères jugent qu’il s’agit d’une sorte de soap avec plus de moyens, plus de stars, plus de jurons et de nudité. Big Little Lies ne ferait que reprendre les sempiterne­ls thèmes de la famille moderne éclatée, à commencer par les tensions entre les profession­nelles et les mères à la maison.

Les plus généreux préposés au sens multiplien­t les éloges. Le critique de Variety a osé des rapprochem­ents avec la première saison the True Detective, par exemple pour son exposition de l’intime dans un cadre social étouffant.

Qui verra jugera. Et peu importe, ce sera tout de même une excellente année pour les réalisateu­rs québécois.

Celeste Madeline

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HBO / SUPER ÉCRAN Big Little Lies, qui compte sept épisodes, met notamment en vedette Reese Witherspoo­n, Shailene Woodley et Nicole Kidman.

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