Intrigue tissée serré chez les Suédois de souche
Olivier Truc livre un récit méticuleux et poétique sur fond de choc des cultures
Correspondant du Point et du journal Le Monde à Stockholm depuis une vingtaine d’années, Olivier Truc s’est mis au roman avec Le dernier lapon publié chez Métailié en 2012. Tout de suite récompensée par plus d’une vingtaine de prix, cette première enquête des agents de la Police des rennes a suscité partout des commentaires élogieux.
Encore plus fouillée qu’à l’habitude et magnifiquement écrite, cette nouvelle histoire — plantée en Laponie-Sápmi, à la frontière de la Suède et de la Norvège — convaincra les lecteurs les plus difficiles.
Dès les toutes premières pages, on est tout de suite plongé dans une scène qui aurait pu être tournée par un Fellini nordique. Imaginez, au beau milieu de nulle part, un jour gris où même l’air qu’on respire est mouillé. Il pleut des cordes et les bêtes sont affolées; on n’y voit rien dans cette espèce de corral où les éleveurs assemblent les rennes avant de les abattre en série avec leurs couteaux courbés puis d’entasser les carcasses dans des camions réfrigérés. La boue se mêle au sang et à l’eau qui ruisselle, et partout l’odeur est suffocante. Soudain, tout s’arrête : on vient de trouver des ossements humains dégagés par la pluie qui ne cesse de tout délaver. Ces bouts d’os vont changer la vie de tous ceux qui sont là…
Un territoire convoité
C’est que ce bout de terre perdu tout au centre de la péninsule scandinave est une région très convoitée. Située à quelque 600km au nord de Stockholm, la ville de Funäsdalen est encerclée par un vaste territoire qui sert de pâturage aux troupeaux de rennes du sud du Sápmi. C’est aussi une zone forestière difficilement accessible mais revendiquée par les producteurs forestiers. Avec la découverte de ce vieux squelette sur un lieu d’abattage, le difficile équilibre entre les Samis jadis nomades et les «Suédois de souche» est radicalement compromis. Entre les deux camps, la Police des rennes enquête.
Ce qui est en jeu, c’est la présence ancestrale ou non des Samis sur ces terres: sontils venus avant ou après les colons suédois? Les traces sont difficiles à trouver… surtout quand les forestiers se mettent à exploiter la forêt environnante tout en éliminant les rares vestiges laissés sur place. L’affaire se traite aussi en Cour suprême, où les deux clans s’affrontent en produisant chacun leur expert. On découvrira rapidement que les forestiers, les éleveurs et les universitaires carriéristes ne sont pas les seuls à s’intéresser au conflit.
Comme dans ses livres précédents, Olivier Truc séduit autant par sa profonde connaissance du sujet que par son écriture aussi efficace et méticuleuse que poétique. Sa façon de décrire ce territoire si proche du nôtre et marqué par une civilisation ancestrale va directement à l’essentiel et transcrit le lien profond unissant ces hommes rugueux à leur territoire. Encore une fois, l’intrigue est tissée serrée et les personnages touffus sont éminemment crédibles dans la grandeur discrète de certains comme dans la fourberie qui en caractérise d’autres. Un véritable bonheur…
LA MONTAGNE ROUGE
★★★★
Olivier Truc Éditions Métailié Paris, 2016, 499 pages