Un « nous » comme la somme de toutes nos différences
Naïm et Emmanuel Kattan font l’éloge d’une culture québécoise diversifiée et en mouvement comme riposte au repli identitaire
Àl’heure des replis, de la montée des extrêmes et des appels au respect de la diversité qui accompagnent le tout, s’il est un visage qui incarne la symbiose de l’ailleurs dans la culture québécoise, c’est bien celui de l’homme de lettres Naïm Kattan.
Né à Bagdad il y a 88 ans, juif d’Irak qui a fondé des revues littéraires là-bas avec des musulmans avant de s’installer au Québec en 1954, l’écrivain est devenu un auteur québécois prolifique tout comme une figure importante du monde de la littérature en passant par le Conseil des arts du Canada où, pendant 25 ans, il a façonné des programmes d’aide à la création, à l’édition, à la traduction…
La culture du Québec, loin de la faire régresser, de la pervertir, de la menacer, l’homme venu de loin n’a de cesse, encore aujourd’hui, de la faire progresser, en assumant totalement l’ailleurs en lui, explique-t-il dans un livre rassemblant plusieurs entretiens menés dans les dernières années par son fils, Emmanuel Kattan, écrivain lui aussi. « C’est une erreur de jugement, c’est une maladie de penser que l’autre est une menace parce qu’il est d’ailleurs », résume à l’autre bout du fil le romancier et essayiste qui, aujourd’hui, peu importe l’endroit où il se trouve sur terre, se dit haut et fort Québécois. « L’ailleurs, c’est un agrandissement de soi, c’est une ouverture sur le monde qui ne vient que lorsque l’on sait que l’on est chez soi et que l’on y est bien. »
Chez les Kattan, l’identité et la part de la culture dans sa construction ne sont pas des sujets de discorde ou une source de violence gratuite. Elles se retrouvent au coeur des discussions calmes, raisonnées, comme en témoigne cette série d’entretiens entre un fils et son père sur la mémoire collective, la langue française au Québec, la tolérance, la diversité culturelle ou encore la place de la culture québécoise dans le monde. L’immigration, loin d’être abordée comme une «nuisance», un «mal nécessaire», comme aiment la dépeindre, à dessein, certains courants populistes, y est surtout placée sur le chemin de l’enrichissement, de l’innovation, pour mieux tracer les contours d’un «nous» formé par la somme de toutes ses différences.
En constante évolution
« L’histoire de mon père est intéressante, résume au téléphone Emmanuel Kattan, joint par Le Devoir à New York où il travaille et vit. Son parcours démontre qu’une culture n’est rien d’autre qu’une construction. C’est un lieu d’échange, en constante évolution, qui est alimenté par différentes langues, différentes influences, différentes références culturelles et historiques… Ce n’est pas quelque chose de figé, mais de fluide, et c’est en prenant conscience de ce caractère construit et en évolution que l’on arrive à être réellement libre à l’intérieur. »
La culture est en mouvement, la culture est un mouvement, dans lequel on monte parfois en marche pour s’y retrouver dans sa diversité et celle des autres, estime Naïm Kattan, qui aime rappeler les racines diverses qui fondent la culture et l’identité québécoise. «Le Québec, c’est une histoire d’immigrants», dit-il, immigrants de France, de Suisse, d’Irlande, mais aussi d’Allemagne, des Pays-Bas, de Syrie, de Chine, d’Irak, d’Iran et surtout d’origines ethniques et de confessions multiples. «Dans la notion de diversité culturelle [qui anime les débats politiques du moment], il y a aussi un enjeu personnel que l’on semble perdre de vue et que les élites intellectuelles n’arrivent pas à expliquer, ajoute Emmanuel Kattan. Il faut reconnaître la diversité que l’on a tous en soi.» Et il ajoute: «Être Québécois, c’est être habité par une diversité qui n’est pas toujours visible», mais qui, en apparaissant, assure le duo familial, est certainement, bien avant des projets de loi ou des codes de vie, la meilleure façon de renouer avec la fierté et de combattre la peur.