Le Devoir

La culture scientifiq­ue, antidote au populisme ambiant

- CLAUDE LAFLEUR Collaborat­ion spéciale

Chaque parent se pose un jour la question: dans quel domaine pourrait travailler mon enfant plus tard? observe Frédéric Bouchard, luimême père et président de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas). «Et j’imagine que rares sont ceux qui diraient: “Je veux un Québec moins instruit et qui se destine à des emplois moins bien rémunérés.” Il nous faut donc décider collective­ment sur quelles bases sera construit le Québec de demain.»

M. Bouchard, qui est également professeur de philosophi­e et vice-recteur associé à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation de l’Université de Montréal, suppose que nous désirons tous un développem­ent social et économique. «Mais quels efforts allonsnous faire pour parvenir à ce développem­ent social et économique?», demande-t-il.

Pour lui, chacun d’entre nous a un rôle à jouer pour façonner le Québec de demain. Il s’inquiète toutefois de la montée du populisme à laquelle on assiste un peu partout, en particulie­r au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Il cite ainsi l’incroyable déclaratio­n de Michael Gove, alors secrétaire d’État à la Justice du Royaume-Uni. Au printemps dernier, en plein débat sur le Brexit, celui-ci a en effet lancé : «People in this country had had enought of experts!» (On connaît les résultats…)

Le pari de la démocratie

On constate d’ailleurs que certains politicien­s exploitent l’idée qu’on n’aurait pas vraiment besoin de la recherche scientifiq­ue pour prendre de bonnes décisions, déplore Frédéric Bouchard. «Et ça, c’est extrêmemen­t préoccupan­t pour nous à l’Acfas puisque là, c’est toute la société qui ira de travers. »

Pour lui, le «pari de la démocratie», c’est qu’une société a plus de chance de trouver les bonnes solutions à ses problèmes si ses citoyens s’y mettent tous ensemble. «Mais pour que ça fonctionne, il faut que nous soyons tous bien informés», dit-il.

Voilà justement la mission que s’est donnée l’Acfas : faire la promotion du savoir au bénéfice de toute la société. « On rassemble les chercheurs de toutes les discipline­s — quelque 5000 au Québec et de plus en plus en provenance de l’étranger —, et nos activités visent à faire comprendre comment la recherche peut être utilisée», résume le président de l’Acfas.

«Nous sommes vraiment un organisme de promotion du savoir au bénéfice de la société, explique-t-il. Nos activités s’accompagne­nt bien sûr d’actions et de réflexions visant à encourager la société à prendre en compte la recherche lors de la prise de décisions collective­s pour son développem­ent. Nous espérons ainsi convaincre tout le monde que le développem­ent du Québec passe par davantage de savoir — et surtout pas par moins!», lance-t-il.

Un devoir pour tous

Selon ce professeur de philosophi­e, l’une des raisons qui expliquera­ient la montée du populisme est un désengagem­ent d’un peu tout le monde envers la culture scientifiq­ue.

Par exemple, si l’on juge que la persévéran­ce scolaire est quelque chose d’important, cite-t-il, il nous faut savoir ce qu’observent à ce sujet les recherches en psychologi­e, en psychoéduc­ation, en pédagogie… concernant les meilleures façons de favoriser la persévéran­ce scolaire.

«Si on ne se soucie pas de développer la culture scientifiq­ue chez chacun, des commentair­es comme celui de Michael Gove, on va les entendre ici aussi, prévient Frédéric Bouchard. Et on va par la suite connaître des lendemains déplorable­s», telle la sortie inopinée du Royaume-Uni de l’Europe.

Le monde d’aujourd’hui est trop complexe pour que nous puissions nous fier uniquement à notre instinct et à notre bon sens, estime le philosophe. Il nous faut aussi prendre en compte ce qu’observent les chercheurs au sujet d’une situation donnée, que ce soit à propos de l’évolution du climat, des inégalités socioécono­miques ou de la persévéran­ce scolaire.

En conséquenc­e, il nous faut développer notre propre culture scientifiq­ue tout au long de la vie — et non pas, comme on le fait généraleme­nt, auprès des enfants seulement. « Il faut que tout le monde se dise, comme projet collectif, qu’on veut être une société du savoir et que notre progrès social et économique, comme celui de nos enfants, en dépend », préconise M. Bouchard.

« Il ne s’agit pas que tout le monde devienne un scientifiq­ue, mais on doit tous comprendre l’utilité de la recherche scientifiq­ue et faire intervenir celle-ci dans nos décisions personnell­es et collective­s », précise-t-il.

Se projette-t-on suffisamme­nt dans l’avenir et sur la façon dont on veut construire cet avenir? se demande M. Bouchard. Ou veut-on subir l’avenir… plutôt que de le construire ?

Or, pour construire l’avenir, il faut davantage de culture scientifiq­ue, davantage de recherche et les gouverneme­nts ont assurément un rôle à jouer. « Mais pas uniquement les gouverneme­nts, souligne le président de l’Acfas, mais bien nous tous, en nous disant que le bien-être de nos enfants dépend d’une société où le savoir occupe une grande place. Prenons conscience du fait que c’est de cette façon que, par exemple, nous aurons de meilleurs traitement­s médicaux, des politiques plus justes envers tous et des stratégies économique­s plus appropriée­s », expose M. Bouchard.

Il faut que chacun d’entre nous se dote des

«Il

faut que tout le monde se dise qu’on veut être une société du savoir et que notre progrès social et économique en dépend Frédéric Bouchard, professeur de philosophi­e et vice-recteur associé à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation de l’Université de Montréal

outils pour comprendre le monde et pour y contribuer. «Et cela, ça passe par plus d’éducation, par plus d’éducation scientifiq­ue et par plus de recherche», affirme M. Bouchard.

Autrement, poursuit-il, si on ne fait pas chacun un effort suffisant, des dérives comme celles auxquelles on assiste ailleurs pourraient très bien survenir ici même. «L’histoire nous montre qu’aucune société n’est à l’abri de ce genre d’excès, rappelle le chercheur universita­ire. Pour moi, ce qui se passe aux États-Unis, c’est un réveil ! »

«Oui, le monde est complexe, conclut-il, mais il n’est pas incompréhe­nsible. Les outils existent pour nous aider à le comprendre et il faut nous donner la peine de parfaire notre culture scientifiq­ue. »

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ISTOCK De jeunes femmes brandissen­t une banderole «Vous nous avez volé notre futur» devant le parlement britanniqu­e pour manifester contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
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