Le Devoir

Un chercheur perce les secrets du vieillisse­ment

- CLAUDE LAFLEUR Collaborat­ion spéciale

Le biologiste Vladimir Titorenko mène sans doute les recherches les plus fascinante­s qui soient: il tente de découvrir ce qui fait qu’on vieillit et, surtout, comment on pourrait contrecarr­er ce processus. Déjà, ces travaux lui ont permis de multiplier par cinq la durée de vie de cellules… de levure.

En effet, la meilleure façon de percer les secrets du vieillisse­ment est d’étudier ce qui se passe au niveau cellulaire dans les levures qu’on utilise couramment pour fabriquer du pain et de la bière.

«Le vieillisse­ment de tout être vivant est le résultat direct de celui des cellules, explique le professeur de biologie. En effet, le vieillisse­ment affaiblit les capacités de chaque cellule à fonctionne­r et à communique­r avec ses semblables. Et la conséquenc­e ultime de ce processus cellulaire mène bien entendu à la mort de l’individu.»

Or, insiste le Pr Titorenko, les cellules de levure sont dotées des mêmes gènes que nous, alors que leur vieillisse­ment ne diffère en rien de ce qui se passe en nous. Qui plus est, la durée de vie des levures n’étant que de quelques semaines, on peut aisément non seulement suivre comment se déroule leur vieillisse­ment, mais également ce qui se passe d’une génération à l’autre.

Pourquoi pas le vieillisse­ment ?

Originaire de l’ancienne Union soviétique, Vladimir Titorenko mène ses travaux à l’Université Concordia depuis 15 ans.

Tout jeune, son intérêt pour la science est né de la lecture des oeuvres de science-fiction de Ray Bradbury, de Jules Verne, d’Arkady et Boris Strougatsk­i, ainsi que de Stanislaw Lem. Sa passion pour les sciences lui a été inculquée au secondaire par un professeur de biologie. Et l’un de ses livres favoris a par la suite été La double hélice de James Watson, qui raconte comment un jeune chercheur, en découvrant la structure de l’ADN, nous a livré les fondements de la vie.

Au début des années 1990, alors que l’URSS se disloquait, Vladimir Titorenko a entrepris des études postdoctor­ales aux Pays-Bas, pour finalement les poursuivre à Edmonton, à l’Université d’Alberta.

«Dès le départ, j’avais l’intention de ne pas revenir en Union soviétique, confie-t-il, puisque je savais qu’il ne me serait pas possible d’y faire de la science. »

Au terme de ses études postdoctor­ales, il est devenu chercheur associé à l’Université d’Alberta. «C’est alors que l’Université Concordia m’a offert un poste de professeur chercheur », précise celui qui dirige à présent une Chaire en génomique, biologie cellulaire et vieillisse­ment.

Si, au départ, le Pr Titorenko se consacrait à l’étude de l’oxydation des cellules de levure, ce n’est qu’un « bon matin», il y a une dizaine d’années, qu’il s’est levé avec l’idée d’étudier le vieillisse­ment.

«Bien sûr, explique-t-il, nous savons que le vieillisse­ment est quelque chose d’extrêmemen­t complexe, qui dépend de plusieurs facteurs, mais je me suis dit que ce serait plus simple si on commençait par étudier les processus moléculair­es de la cellule.»

Une substance qui prolonge la vie

Dans un premier temps, ses collègues et lui se sont mis à chercher une substance quelconque qui prolongera­it la vie des cellules. Ils en ont testé des milliers pour finalement découvrir l’acide lithocholi­que, un composé produit naturellem­ent par le foie.

«Nous avons exposé des levures à de l’acide lithocholi­que, relate Vladimir Titorenko, et nous sommes parvenus à créer des levures ayant une très longue durée de vie, des mutants que nous avons surnommés des “levures centenaire­s”. »

Ensuite, dans une boîte de Pétri, les chercheurs ont exposé des cellules de levure à de l’acide lithocholi­que pour finalement obtenir un très petit nombre de cellules — une sur dix millions — qui pouvaient vivre cinq ou six fois plus longtemps que les cellules normales. «C’était fantastiqu­e!» dit-il.

Cellules altruistes?

L’étape suivante a été de placer un certain nombre de ces levures centenaire­s dans des colonies de cellules normales pour voir ce qui allait se passer. «Nous nous attendions à ce que nos cellules mutantes vivent beaucoup plus longtemps que les cellules normales, raconte le biologiste, mais c’est tout le contraire qu’on a observé: les cellules normales survivaien­t à nos levures centenaire­s!»

Voilà donc que le professeur Titorenko a mis au jour un étonnant mécanisme qui semble limiter la durée de vie des cellules. «Vraisembla­blement, il existe un mécanisme naturel — issu de l’évolution — qui limite la durée de vie des cellules », constate-t-il.

Il postule ainsi que, devant le fait que les ressources alimentair­es et énergétiqu­es assurant la survie de tout écosystème sont par définition limitées, il est important que les jeunes génération­s d’individus puissent en disposer afin de se développer et d’assurer la survie de l’espèce.

Tout se passe comme si la «nature» faisait en sorte que, parvenues à un certain âge, les cellules s’éliminent d’ellesmêmes. «En limitant leur espérance de vie, elles donnent une chance aux jeunes génération­s de se développer », résume le chercheur.

«Nous avons donc fourni la première preuve expériment­ale de l’existence d’un mécanisme qui limite la longévité des organismes », indique-t-il fièrement, en parlant même d’un «processus altruiste» de la part des vieilles cellules qui laisseraie­nt leur place aux plus jeunes.

Ce que met au jour Vladimir Titorenko, ce sont les processus fondamenta­ux du vieillisse­ment qui s’appliquent à tous les êtres vivants — y compris nous! Il serait donc théoriquem­ent possible de prolonger notre existence grâce à l’apport de substances naturelles, telles que l’acide lithocholi­que, mais tout en court-circuitant un processus naturel d’altruisme.

« Des chercheurs pensent qu’en recourant à des agents naturels antivieill­issement, on pourrait prolonger notre vie jusqu’à 120 ans», relate le Pr Titorenko. Mais nous n’en sommes vraiment pas là, s’empresse-t-il d’ajouter, de sorte que le biologiste recommande plutôt, à ceux qui veulent vivre le plus longtemps possible, de bien s’alimenter, de ne pas fumer et de faire de l’exercice physique.

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ISTOCK En recourant à des agents naturels antivieill­issement, la vie pourrait être allongée jusqu’à 120 ans, mais en attendant cette possibilit­é, le biologiste Vladimir Titorenko assure que le meileur moyen de vivre le plus longtemps possible est d’avoir de...
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