Le Devoir

Combien de pages pour la thèse et le mémoire ?

- MARTINE LETARTE Collaborat­ion spéciale

Combien de pages environ un mémoire de maîtrise comporte-t-il au Québec? Et une thèse de doctorat ? Voilà les questions que se posait Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), alors que les différents établissem­ents universita­ires ne donnent pas de directives précises à leurs étudiants sur la question. Il a décidé de fouiller ce qui a été fait pour établir des moyennes.

Après avoir récolté un échantillo­n de plus de 55 000 documents depuis 1990 dans 13 établissem­ents universita­ires du Québec, JeanHugues Roy, ancien journalist­e de Radio-Canada, a obtenu sa réponse. Un mémoire de maîtrise compte en moyenne 133 pages et la thèse de doctorat 251.

L’idée de cette étude est née d’un questionne­ment bien personnel alors que Jean-Hugues Roy se lançait dans la rédaction de son propre mémoire de maîtrise.

«Comme tout journalist­e, je me demandais dès le début de ma démarche quelle longueur je devrais produire», raconte dans son bureau de professeur celui qui s’est sevré de l’atmosphère survoltée de la salle de nouvelles pour se consacrer à la formation de la relève.

Il n’a pas trouvé de réponse à sa question, mais certaines recommanda­tions. L’Université McGill invite ses étudiants du deuxième cycle à ne pas dépasser 100 pages. HEC Montréal recommande que le mémoire ne dépasse pas 150 pages. Quant à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), elle suggère à ses doctorants en administra­tion de rédiger entre 200 et 400 pages. Ce n’était pas suffisant pour satisfaire sa soif de curiosité.

« J’ai fouillé dans ce qui s’était écrit sur le sujet dans le monde et j’ai trouvé peu de choses, précise-t-il. Mais, je suis tombé sur une étude de Marcus Beck, de l’Université du Minnesota. Il présentait le nombre de pages en moyenne des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat dans son université, ensuite par discipline­s, avec de belles infographi­es. J’ai décidé de faire la même chose, mais pour toutes les université­s québécoise­s. »

La quête

On ne récolte pas des données sur l’ensemble des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat publiés au Québec dans les 25 dernières années en criant ciseau.

Si Jean-Hugues Roy s’est donné ce défi, c’est qu’il est doué en programmat­ion et un véritable passionné du journalism­e de données, une discipline où le logiciel et la programmat­ion sont utilisés pour extraire des données pertinente­s dans des mines d’informatio­n.

Il s’est donc mis à son ordinateur et a rédigé des scripts dans le langage de programmat­ion Python.

Finalement, seulement 13 des 18 université­s québécoise­s avaient des données suf fisantes pour sa récolte.

L’actuel directeur du baccalauré­at en communicat­ion, profil journalism­e, en a vu de toutes les couleurs. Des mémoires très courts en finance aux plus longs en management et gestion.

Le record parmi les thèses les plus longues revient à une étudiante en didactique de l’Université de Montréal qui a déposé un document de 1578 pages en 2011.

Par contre, c’est à l’UQAM que revient la palme des thèses les plus longues.

Le professeur utilise maintenant les résultats de cette recherche comme matière première pour enseigner à ses étudiants du cours de journalism­e de données.

Découvrir le savoir du Québec

Lors de sa collecte d’informatio­n, Jean-Hugues Roy s’est parfois laissé prendre au jeu et s’est plongé dans la lecture de thèses et mémoires.

«Je me souviens par exemple d’avoir voulu vérifier le nombre de pages d’une thèse particuliè­rement volumineus­e parce qu’elle comprenait en annexe la correspond­ance entre Gabrielle Roy et son mari qui était homosexuel. Je n’ai pas pu m’empêcher de lire. C’était fascinant. » En se plongeant dans ce travail de moine réalisé par les étudiants des cycles supérieurs, il a découvert une portion du savoir québécois qui est souvent destiné à reposer sur une tablette une fois achevé.

« Or, j’ai vu des thèses intéressan­tes, avec des illustrati­ons et beaucoup de créativité, qui étaient très agréables à lire», indique-t-il.

Un mouvement vers des thèses plus accessible­s

Il y a d’ailleurs tout un mouvement dans le milieu des études universita­ires de cycles supérieurs au Canada en faveur de thèses de doctorat nouveau genre. Plutôt que d’imposer la rédaction de longs documents arides et souvent peu consultés par la suite, l’Associatio­n canadienne des études supérieure­s (ACES) souhaitera­it que les étudiants puissent opter pour de nouveaux formats. Par exemple, un rapport d’interventi­on sociale avec présentati­on de la démarche et analyse des enjeux. Ou même, un plan d’affaires pour valoriser une découverte qui viendrait répondre à un besoin dans le milieu.

« On veut que la thèse de doctorat ait davantage de retombées dans la société et qu’elle repousse les savoirs d’un milieu plutôt qu’elle soit un long passage obligé dans lequel le chercheur souffre et s’isole pour rédiger une thèse qui ne sera lue par pratiqueme­nt personne par la suite», avait confié au Devoir en novembre dernier Marie Audette, présidente sortante de l’ACES.

Admettant ne pas avoir très envie de lancer lui-même dans la rédaction d’une thèse de doctorat, un exercice qu’il compare à une montée de l’Everest, Jean-Hugues Roy croit qu’on pourrait également réaliser des améliorati­ons dans la diffusion des thèses et mémoires.

L’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas) fait du travail dans le domaine. Elle organise d’ailleurs chaque année sa version du concours mondial Ma thèse en 180 secondes.

«Résumer une thèse en trois minutes est vraiment un exercice incroyable, affirme M. Roy qui fait partie du jury de la compétitio­n de l’UQAM. Je me rappelle encore celle qui avait gagné à l’UQAM en 2012. L’étudiante faisait des travaux sur l’hydrodynam­isme des ménés. Elle racontait son travail sur le terrain, avec les pêcheurs. C’était toute une conteuse. Ce genre d’initiative­s permet de vulgariser les travaux des chercheurs pour qu’ils se rendent dans l’espace public et puissent susciter des débats. Il faudrait davantage d’initiative­s du genre pour que la société connaisse mieux le savoir du Québec.»

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ISTOCK En se plongeant dans ce travail de moine réalisé par les étudiants, Jean-Hugues Roy a découvert une portion du savoir québécois qui est souvent destiné à reposer sur une tablette.
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Jean-Hugues Roy

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