Le Devoir

Se tailler une place sur les marchés

- PIERRE VALLÉE Collaborat­ion spéciale

L’investisse­ment responsabl­e se fait une place de plus en plus grande au point de changer la donne sur le marché de la finance. Entrevue avec Corinne Gendron, professeur­e à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Selon la dernière étude, réalisée en 2014 par l’Associatio­n canadienne pour l’investisse­ment responsabl­e (AIR), les actifs en investisse­ment responsabl­e sous gestion au Canada totalisaie­nt mille milliards de dollars, soit une hausse de 68% en deux ans. L’investisse­ment responsabl­e représenta­it alors 31% des actifs sous gestion dans le secteur canadien des placements. Étant donné la forte croissance de l’investisse­ment responsabl­e, on peut s’attendre à ce que le prochain rapport de l’AIR, prévu pour 2017, vienne confirmer cette tendance.

«L’investisse­ment responsabl­e n’est plus un phénomène marginal, souligne Corinne Gendron, professeur titulaire de la Chaire de responsabi­lité sociale et de développem­ent durable à l’ESG UQAM. Et c’est aujourd’hui un mouvement mondial.»

En matière d’investisse­ment responsabl­e, une question surgit inévitable­ment: est-ce que l’investisse­ment responsabl­e est aussi rentable que l’investisse­ment convention­nel? Les promoteurs de l’investisse­ment responsabl­e, en particulie­r ceux qui offrent des produits financiers en ce sens, assurent que oui. «Les études et méta-analyses sur le sujet arrivent plutôt à la conclusion qu’il est impossible de tracer un lien entre la rentabilit­é ou la non-rentabilit­é d’un investisse­ment responsabl­e. » En d’autres mots, la rentabilit­é d’un investisse­ment responsabl­e ne résulte pas du fait qu’il soit responsabl­e, mais dépend plutôt d’autres facteurs, comme la qualité de l’actif, la diversific­ation du portefeuil­le, les fluctuatio­ns du marché, etc.

Une transforma­tion du milieu financier

Par contre, ce dont Corinne Gendron est certaine, c’est que l’investisse­ment responsabl­e vient transforme­r la finance. « Avec l’investisse­ment responsabl­e, on assiste à un meilleur ancrage territoria­l de l’investisse­ment. L’investisse­ment responsabl­e rapproche l’investisse­ur de l’activité économique dans laquelle il investit, et de ce fait, crée un lien plus étroit entre l’investisse­ur et l’entreprise. »

Ce rapprochem­ent entre l’investisse­ur et l’activité économique a aussi une influence sur le fonctionne­ment. «Un lien plus étroit entre l’investisse­ur et l’activité économique vient modifier la fonction des intermédia­ires financiers, comme les gestionnai­res de fonds. En se rapprochan­t de son investisse­ment, l’investisse­ur met davantage la main à la pâte, ce qui modifie le rôle du gestionnai­re de fonds, qui ne fait plus cavalier seul. De plus, le gestionnai­re ne peut plus gérer le fonds uniquement sur des critères financiers, mais doit aussi tenir compte des critères extrafinan­ciers, et pour ce faire, il doit tenir compte des valeurs personnell­es de l’investisse­ur.»

Quelques principes

Le principe dérivé du concept de développem­ent durable sur lequel repose l’investisse­ment responsabl­e est ce que l’on nomme le principe ESG, pour problémati­ques environnem­entale, sociale et de gouvernanc­e. Il s’agit d’un code de conduite pour l’ensemble des acteurs économique­s. «De plus, aujourd’hui, la majorité des investisse­urs institutio­nnels sont signataire­s des Principes pour l’investisse­ment responsabl­e, ou les PRI, initiés par les Nations unies, qui les obligent à investir dans des activités économique­s et des entreprise­s qui ont une démarche EMG. »

Selon le principe EMG (acronyme anglais du Groupe de gestion de l’environnem­ent des Nations unies), la bonne gouvernanc­e d’une entreprise repose sur la transparen­ce et, si possible, dans une forme de gestion participat­ive. L’entreprise doit être respectueu­se de l’environnem­ent et s’assurer que ces pratiques sont les moins dommageabl­es. Elle doit aussi tenir compte des impacts sociaux de ses pratiques et du rôle qu’elle joue en société. La manière de procéder est d’internalis­er les coûts associés à ces pratiques. Par exemple, une bonne gouvernanc­e rassure l’investisse­ur et en attire d’autres; une mauvaise fait le contraire et est donc coûteuse. «Les entreprise­s doivent aussi internalis­er les coûts reliés à leurs pratiques environnem­entales. Les changement­s climatique­s amènent de nombreux États à taxer les émissions de carbone, ce qui oblige les entreprise­s maintenant à tenir compte de ce nouveau coût.» Par contre, en matière de coûts sociaux, l’opération est plus difficile. «Prenons l’idée d’augmenter le salaire des employés. Cela a l’avantage d’attirer les meilleurs talents et de les retenir, mais cela représente aussi une dépense. Comment calculer les gains à long terme? Ce n’est pas toujours évident. Par exemple, l’on connaissai­t tous les vertus de l’équité salariale, mais il a fallu une loi pour y arriver.»

Les démarches en IR

On compte trois démarches en investisse­ment responsabl­e. La première est celle des filtres, où l’on exclut d’un portefeuil­le certains types d’activités économique­s ou certaines entreprise­s; fabricants d’armes et cigarettie­rs, par exemple.

«La seconde démarche, et c’est la plus répandue, est l’activisme actionnari­al. On investit alors dans une entreprise, même si cette dernière n’est pas entièremen­t conforme au principe EGS, dans le but d’engager un dialogue afin de renforcer le principe EGS. L’idée ici est de se servir de cet actionnari­at pour amener devant l’assemblée des actionnair­es des propositio­ns en matière d’EGS. »

La troisième démarche est l’investisse­ment à impact social, où l’investisse­ur tient à ce que son placement ait un impact direct dans la société.

Est-ce que tous les investisse­ments responsabl­es reposent sur la même définition de la responsabi­lité ? «Eh bien non, et cela change selon les valeurs des investisse­urs, certains étant plus sensibles à l’environnem­ent, d’autres à la gouvernanc­e ou aux impacts sociaux. La définition de la responsabi­lité varie selon la perspectiv­e de l’investisse­ur. » Devrait-on tenter d’harmoniser cette définition? «Dans un monde idéal, peutêtre, mais ici-bas, je ne crois pas que l’on puisse arriver à une seule définition, tout comme on ne peut pas demander à toutes les personnes d’avoir les mêmes valeurs humaines. Par contre, ce qu’on peut faire, c’est exiger que les critères retenus par les firmes qui font les classement­s EGS des entreprise­s soient connus, de sorte que l’investisse­ur puisse s’assurer qu’ils sont conformes à ses valeurs. »

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ISTOCK Le principe dérivé du concept de développem­ent durable sur lequel repose l’investisse­ment responsabl­e est ce que l’on nomme le principe ESG, pour problémati­ques environnem­entale, sociale et de gouvernanc­e.

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