Le Devoir

La difficile défense du budget américain de la Défense

- ALEXIS RAPIN Chercheur en résidence à l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand

Rendre sa grandeur à l’Amérique, un décret à la fois. Depuis son entrée en fonction, les ordres exécutifs signés par Donald Trump témoignent d’une ferme intention de concrétise­r des projets, tel le fameux mur, que beaucoup considérai­ent comme de belles promesses de campagne. L’un de ces engagement­s, toutefois, sera particuliè­rement difficile à mettre en oeuvre: l’expansion du budget de la Défense.

À l’automne dernier, Donald Trump a en effet proposé un plan de défense nationale ambitieux: doter les forces armées américaine­s de 50 000 hommes supplément­aires, de 74 nouveaux navires et de 87 nouveaux avions (après avoir, quelques mois plus tôt, prôné des coupes en la matière). Reste maintenant la partie la plus difficile: trouver les fonds pour ce faire (estimés à 80 milliards de dollars) et convaincre le Congrès d’adopter un tel budget. Une tâche qui s’annonce comme un véritable casse-tête.

Un Sénat très fragmenté

En effet, depuis 2013 et l’entrée en vigueur du Budget Control Act, les dépenses en matière de défense sont soumises (comme nombre d’autres programmes gouverneme­ntaux) à un plafond particuliè­rement strict. Revenir sur ce «séquestre» nécessiter­ait de modifier la loi. Modifier la loi nécessiter­ait de disposer de 60 voix au Sénat. C’est ici que les difficulté­s commencent pour le gouverneme­nt Trump.

En premier lieu, le Parti républicai­n ne dispose à ce jour que de 52 sièges à la Chambre haute du Capitole. Obtenir la majorité nécessaire exigera donc de convaincre au moins huit sénateurs démocrates (ou indépendan­ts) de leur emboîter le pas. Un geste que certains d’entre eux ont d’ores et déjà conditionn­é à une levée des plafonds budgétaire­s dans des domaines non militaires.

Compromis envisageab­le? La problémati­que se corse encore: parmi les républicai­ns du Sénat figurent nombre de conservate­urs fiscaux qui, s’ils témoignent déjà d’une certaine frilosité à l’égard d’un gonflement des dépenses militaires, sont encore bien moins disposés à lever d’autres « séquestres ». Les « faucons » du Sénat, comme John McCain ou Lindsey Graham, vont donc avoir fort à faire pour élaborer un compromis susceptibl­e de rassembler 60 législateu­rs.

Chef du budget controvers­é

Le climat n’est guère différent du côté de la Chambre des représenta­nts, qui devra aussi approuver l’éliminatio­n des plafonds: les républicai­ns du «House Freedom Caucus», véritables sentinelle­s antidéfici­t, toisent d’un oeil suspicieux Donald Trump. Ses ambitions de vastes allégement­s fiscaux, de maintien de la sécurité sociale et en parallèle de gonflement du budget de la Défense sont visiblemen­t plus qu’ils ne peuvent en tolérer.

La liste des obstacles ne s’arrête pas là, le gouverneme­nt Trump étant lui-même divisé sur le budget de la Défense. C’est en effet un ancien membre du Freedom Caucus, le représenta­nt de Caroline du Sud Mick Mulvaney, qui vient d’être confirmé à la direction du Bureau de gestion du budget de la Maison-Blanche. Un poste où celui-ci risque de perpétuer sa longue tradition de conservati­sme fiscal.

Ayant régulièrem­ent voté pour la réduction du budget de la Défense par le passé, il est désormais soupçonné par les faucons du Congrès de vouloir barrer la route à une augmentati­on dudit budget. Des suspicions qui lui ont d’ailleurs valu de passer un sale quart d’heure durant son audition au Sénat. Reste à voir si Mick Mulvaney donnera préséance à ses allégeance­s idéologiqu­es ou aux souhaits de Donald Trump.

Recourir à la cuisine budgétaire?

Le casse-tête n’en persiste pas moins: comment faire accepter 80 milliards de dépenses supplément­aires à un Congrès verrouillé par des conservate­urs fiscaux et des démocrates méfiants? Pour les adeptes du gonflement, la réponse pourrait résider dans une habile cuisine budgétaire: couper dans la bureaucrat­ie pour réinvestir dans les troupes.

Une étude du Defense Business Board datant de 2015, et qui a ressurgi à la fin de 2016, laisse en effet entendre que le Pentagone pourrait économiser jusqu’à 125 milliards de dollars en réorganisa­nt et en optimisant sa gestion (administra­tive, essentiell­ement). Un calcul qui fait saliver les leaders faucons du Capitole, John McCain et Mac Thornberry.

Le tour de force, même s’il s’avère réalisable, ne se fera toutefois pas d’un claquement de doigts: c’est au mieux sur cinq ans que pourraient être réalisées les économies en question. Les détracteur­s du projet soulignent également que celui-ci ne s’opérerait pas sans quelques douleurs pour les différents services du départemen­t de la Défense.

Le plan, toutefois, pourrait trouver un écho favorable auprès de Donald Trump: les recommanda­tions avancées par le Defense Business Board consistent en effet à transposer au Pentagone des méthodes de gestion et des cibles d’efficience similaires à celles prévalant dans le secteur privé. Une recette qui pourrait plaire à celui qui a présenté ses talents de grand patron comme un atout pour diriger les États-Unis.

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MANUEL BALCE CENETA ASSOCIATED PRESS Donald Trump a proposé un plan de défense nationale ambitieux : doter les forces armées américaine­s de 50 000 hommes supplément­aires, de 74 nouveaux navires et de 87 nouveaux avions.

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