Le Devoir

Une mosquée d’avant-garde en pays druze

- SARA HUSSEIN à Moukhtara

De loin, il est difficile d’imaginer que le bâtiment à l’entrée de Moukhtara, la «capitale» du pays druze dans la montagne libanaise du Chouf, est une mosquée.

Bien qu’ils appartienn­ent à une confession dérivée de l’islam chiite, les Druzes ne prient pas dans les mosquées, et l’édifice est loin de ressembler à la maison de prière traditionn­elle musulmane.

La mosquée de l’émir Chakib Arslan, du nom du grandpère du chef de la communauté druze Walid Joumblatt, vise à susciter une réflexion sur la religion et la modernité.

Cette oeuvre architectu­rale a été commandée et financée par Walid Joumblatt, pour remplacer une mosquée qui avait été détruite à Moukhtara il y a quelques décennies, lors d’une dispute à caractère politique.

Le chef druze a donné carte blanche à l’architecte Makram al-Kadi pour réinterpré­ter le lieu de prière musulman avec des résultats surprenant­s.

Le minaret et la coupole traditionn­els ont été remplacés par un agencement de poutrelles en acier blanc posé sur une maison arabe traditionn­elle en pierre qui a la forme d’un «voile», selon le concepteur.

Dans un coin du toit, des barres en métal se dressent vers le ciel comme une tour rappelant le minaret. La lumière et l’air passent à travers cette structure fine, qui contraste avec le caractère massif du bâtiment traditionn­el en pierres ocre.

À deux endroits, les espaces entre les poutrelles ont été comblés pour créer deux mots qui ne se perçoivent qu’à distance: Allah (Dieu) sur le minaret et «al-Insan» (l’être humain) sur la structure en contrebas.

Pour Makram al-Kadi, ce projet est le résultat d’années de réflexion sur la manière de réimaginer la structure de la mosquée.

«Rien dans le Coran ou dans les hadiths [propos attribués à Mahomet] ne dit comment doit être conçue une mosquée», explique-t-il à l’AFP. Mais malgré le peu de contrainte­s religieuse­s, la forme des mosquées n’a pas évolué.

«Il n’y a pas beaucoup d’expériment­ation architectu­rale», constate-t-il.

Esprit critique

La lumière pénètre dans ce lieu de culte aux murs blancs par une large fenêtre découpée dans le plafond voûté.

À l’arrière de la salle, dans une pièce où sont rangés les livres religieux, le mot Iqra (lire) se dessine sur des lattis en bois, une allusion au premier mot du Coran et un rappel qu’un des impératifs religieux est de lire et pas seulement de réciter. « Il ne faut pas réciter aveuglémen­t […] il faut lire avec un esprit critique», affirme l’architecte.

Sur le sol s’étale un surprenant tapis avec des motifs abstraits noir et blanc, qui représente l’onde musicale de la récitation du Coran, où le mot «Dieu» a été enlevé pour éviter que l’on marche dessus.

«Le tapis est une nouvelle forme de calligraph­ie […] Dans cette mosquée, il reflète aussi quelque chose de très important à savoir que Dieu y est caché et pourtant très présent», explique pour sa part l’artiste Lawrence Abou Hamdan, qui a conçu cette oeuvre.

Au milieu de toutes ces innovation­s, certaines règles demeurent, notamment l’orientatio­n de la mosquée vers La Mecque et le traditionn­el Adhan (l’appel à la prière).

Pour Walid Joumblatt, le projet a deux objectifs: souligner les liens entre la foi druze et les autres branches de l’islam, et aussi promouvoir la tolérance religieuse.

Passerelle

Le Liban porte encore les stigmates de la guerre civile entre 1975 et 1990, au cours de laquelle toutes les confession­s ont commis des crimes. Le pays est aussi secoué par le conflit qui ravage la Syrie voisine.

«Je pense que le message que nous devons sans cesse répéter, c’est qu’il y a une place pour la diversité et la coexistenc­e. Le Liban ne peut survivre que dans la diversité», affirme le leader druze.

Le message est particuliè­rement important, car les Druzes ont été bourreaux et parfois victimes durant la «guerre de la montagne» avec les chrétiens en 1983 au Liban et parce qu’ils ont été, en Syrie, parmi les minorités religieuse­s contrainte­s à la conversion ou à l’expulsion par les djihadiste­s qui les considèren­t comme des apostats.

Pour les résidents druzes, la mosquée est une curiosité, un geste envers l’extérieur plutôt qu’un lieu de culte pour euxmêmes.

«Je n’ai jamais été à l’intérieur, mais, de l’extérieur, l’architectu­re est plaisante», confie Sabah Abdel Ahmad, 50 ans, qui possède une pharmacie de l’autre côté de la mosquée. «C’est vraiment très beau de promouvoir le pluralisme et l’acceptatio­n de l’autre», dit-elle.

Pour Makram al-Kadi, la mosquée représente une « passerelle » entreles différente­s branches de l’islam à un moment « où ce type de geste se fait rare ». «La lutte contre le fondamenta­lisme est avant tout une guerre culturelle, une bataille d’idées et l’architectu­re est une des armes », dit-il.

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JOSEPH EID AGENCE FRANCE-PRESSE La mosquée imaginée par l’architecte Makram al-Kadi vise à susciter une réflexion sur la religion et la modernité.

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