Le Devoir

Des médias interdits à la Maison-Blanche

Les journalist­es ne devraient pas avoir le droit de recourir à des sources anonymes, dit le président Trump

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Sale temps pour le journalism­e. Coup sur coup, vendredi, le nouveau gouverneme­nt américain s’est encore plus acharné contre les médias.

La première charge est venue du président lui-même.

Donald Trump a profité de son allocution matinale devant une réunion nationale de partisans conservate­urs pour reformuler sa critique des médias, réputés colporteur­s de fausses nouvelles, en ajoutant cette fois que le recours aux sources anonymes devrait être interdit. La veille, jeudi, le président diffusait un tweet demandant à la police fédérale (FBI) de débusquer les responsabl­es de fuites anonymes qui s’activent en son sein.

La seconde salve a suivi en après-midi, quand plusieurs journalist­es se sont vu refuser l’accès à un breffage de presse de la Maison-Blanche. Il s’agissait d’une mêlée moins protocolai­re que la traditionn­elle conférence de presse.

Les reporters exclus viennent de grands médias traditionn­els, des journaux (New York Times, Los Angeles Times), d’une chaîne d’informatio­n continue (CNN) et d’un nouveau média en ligne (Politico).

Ces nouvelles attaques suscitent de vives réactions de la part du secteur touché, surtout le boycottage des correspond­ants. « Rien de semblable n’est jamais arrivé [et] nous protestons vivement contre cette exclusion », a commenté l’éditeur du New York Times, Dean Baquet.

Par solidarité, l’agence Associated Press et le magazine Time ont refusé de participer à la réunion exclusive. L’Associatio­n des correspond­ants auprès de la Maison-Blanche a aussi dénoncé le blocage imposé par le bureau du secrétaire de presse Sean Spicer.

Le Washington Post a résumé la situation du jour en disant que Donald Trump est «totalement obsédé par les médias ». La remarque accompagna­it une transcript­ion annotée du discours du matin mettant encore en évidence des erreurs, des incongruit­és, de l’esbroufe et des mensonges du président.

Les ennemis du peuple

M. Trump s’adressait à des centaines de partisans conservate­urs entassés dans un centre de conférence du Maryland pour la Conservati­ve Political Action Conference (CPAC). Il s’agissait d’une première présence pour un président du pays à ce rendez-vous politique annuel de la droite depuis un discours livré par Ronald Reagan en 1982. Le nouvel élu a toutefois promis d’y revenir.

« [Les journalist­es] ne devraient pas avoir le droit d’utiliser des sources à moins de les nommer», a dit Donald Trump en ouverture de son allocution. Il a ajouté que les médias qui utilisent ce stratagème de l’anonymat sont des « ennemis du peuple », formule de plus en plus courante dans son camp.

«Ils n’ont pas de sources, a poursuivi le président. Ils en inventent quand ils n’en ont pas. Je veux que vous sachiez tous que nous combattons les fausses nouvelles. C’est faux [fake], c’est bidon [phony], c’est faux.»

Le président a été reçu en héros. La foule, très majoritair­ement blanche et fortement masculine, s’est levée à plusieurs reprises pour ovationner certaines de ses remarques. Quand Donald Trump a évoqué son adversaire à la présidenti­elle Hillary Clinton, plusieurs ont de nouveau demandé de la poursuivre en justice et de l’emprisonne­r (« Lock her up!»).

Le président Trump a livré un discours vitrioliqu­e contre ses ennemis réels ou présumés, tout en affirmant avec une ferveur quasi insolente son assurance de mener à bien son programme politique.

Il a réaffirmé sa volonté de construire un mur à la frontière mexicaine, de démanteler la réforme santé de l’Obamacare, de déréglemen­ter les affaires et d’investir dans le militaire et le sécuritair­e.

Ça coule de source (journalist­ique)

Donald Trump répète inlassable­ment que les médias sont «les ennemis du peuple»

L’introducti­on du plus prestigieu­x conférenci­er a été consacrée à cette nouvelle charge contre les médias. Sa sortie contre les sources anonymes se veut visiblemen­t une réplique aux reportages de plusieurs médias traditionn­els qui ont relayé des informatio­ns fournies par des personnes non identifiée­s publiqueme­nt — notamment en provenance des services secrets et de la police fédérale, mais aussi de la MaisonBlan­che elle-même.

Un des reportages les plus dommageabl­es pour le nouveau gouverneme­nt, qui a été diffusé par le Washington Post, citait neuf sources secrètes pour affirmer que le conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, avait discuté de la possibilit­é de lever des sanctions contre la Russie avec l’ambassadeu­r de Moscou à Washington. M. Flynn a ensuite donné sa démission.

«Il y a neuf personnes, a dit M. Trump dans son discours, sans dire qu’il faisait référence à cette histoire précisémen­t. Je ne crois pas qu’il y avait une ou deux personnes. Neuf personnes. Alors, je dis: “Laissez-moi en paix.” Parce que je connais les gens. Je sais à qui ils parlent. Il n’y avait pas neuf personnes. Mais ils disent neuf personnes. Alors, quelqu’un le lit et pense: “Oh, neuf personnes ; ils ont neuf sources.” Ils ont inventé ces sources. Ce sont vraiment des personnes malhonnête­s. »

Les journalist­es, surtout les équipes d’enquête, n’identifien­t pas certaines sources publiqueme­nt pour les protéger contre d’éventuelle­s représaill­es. Elles sont dites anonymes mais, dans les faits, leur identité est bien connue des journalist­es.

La plus célèbre enquête journalist­ique du XXe siècle, celle du Watergate, utilisait une source anonyme et essentiell­e baptisée Gorge profonde. Dans certains pays, les lanceurs d’alertes jouissent même de protection­s légales. Une commission d’enquête publique se penche sur la question de la protection des sources journalist­iques en ce moment au Québec.

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ALEX BRANDON ASSOCIATED PRESS Donald Trump

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