Le Devoir

Mourir dans la dignité… à l’étranger

- Monique Hamel Pédagogue, auteure et chercheuse

Au Canada, concernant l’euthanasie et le suicide assisté, en refusant d’inclure les pathologie­s non mortelles, les élus fédéraux qui ont manqué de courage malgré les recommanda­tions de l’arrêt Carter de la Cour suprême n’ont aucune idée de ce qu’ils font vivre aux personnes affublées d’une telle pathologie; de par la nouvelle loi, ils ont exclu toutes les personnes souffrante­s dont la mort n’est pas « raisonnabl­ement prévisible ». Conséquemm­ent, de mon côté, puisque la neuropathi­e ou la radiculopa­thie chronique sévère dont je souffre depuis 20 ans n’est pas mortelle, je n’ai d’autre choix que de me tourner vers la Suisse… et seuls mes proches sont au courant. Il m’est impossible de vivre ce cheminemen­t avec mes profession­nels de la santé, seulement avec des médecins et des profession­nels suisses que je ne connais pas.

La Suisse est le seul pays qui accepte les étrangers. Pour résumer, Dignitas – Vivre dignement – Mourir dignement – accepte toujours d’aider les étrangers à des conditions claires et strictes en accord avec la loi suisse. Dans certains cas, selon l’histoire médicale de la personne, ils ont besoin, en plus d’un dossier médical complet, d’un rapport d’un psychiatre qui confirme que la capacité décisionne­lle du patient est intégrale (ce qui coûte 1500$ au Québec), et ce, pour se protéger légalement; c’est la loi suisse qui l’exige avant que Dignitas puisse remettre le dossier médical à un des médecins généralist­es qui collaboren­t avec eux (au prix de 3500francs suisses). Puis, une fois là-bas, il y a deux rencontres avec ce médecin. Et j’imagine que ce n’est pas évident de trouver un psychiatre humaniste un tant soit peu empathique et sensible à cette situation qui accepte de réaliser une telle expertise. Au Québec, le suicide assisté est encore un sujet tabou.

Douleur et isolement

Je pars à cause de la douleur neurologiq­ue avant tout, mais aussi du handicap, bien sûr, et de l’isolement qui en découle. Contrairem­ent à ce que prétendent certains profession­nels du Collectif de médecins du refus médical de l’euthanasie, toute leur gentilless­e et leur empathie ne me retiendrai­ent pas. Les patients ne sont pas nécessaire­ment des personnes angoissées, vulnérable­s et influençab­les comme le prétendent les auteurs de ce collectif dans un texte écrit en 2013.

De plus, même si les CHSLD étaient de vrais endroits de vie dignes de ce nom, cela ne viendrait pas compenser le niveau de douleur. Qui plus est, si vous entendez un médecin prétendre qu’il peut soulager toutes formes de douleur, même les douleurs neurologiq­ues, il ment; ce n’est que de la prétention.

Ce débat fait penser à celui sur l’avortement dans les années 70 et 80; il y a ceux qui sont pour le libre choix et ceux qui se disent pour la vie. Au début des années 80, il y avait des comités de médecins — composés presque exclusivem­ent d’hommes — qui décidaient si les demandes des femmes étaient justifiées et légitimes. Aujourd’hui, cela nous paraîtrait archaïque, voire misogyne. Et n’oublions pas toutes ces femmes qui tentaient de s’avorter seules ou qui confiaient leur corps à des charlatans.

Combien de personnes malades tentent de se suicider ou demandent à un proche de les aider avec les risques médicaux et juridiques que cela comporte? Les élus ont manqué de courage et pourtant, la majorité de la population, soit 84% des Québécois et des Canadiens (sondage effectué par la firme Ipsos-Reid en 2014), est favorable à l’euthanasie et au suicide assisté. Qui plus est, 70% des médecins y sont également favorables. Puis, il y a l’Associatio­n québécoise du droit de mourir dans la dignité dont les membres, pour la plupart, sont des profession­nels de la santé. Par chance, les sociétés évoluent! Le Canada et le Québec sont juste un tantinet en retard.

Empêtrée dans la bureaucrat­ie

En fait, en 2005, lorsque j’ai eu mon «feu vert provisoire» en Suisse, j’ai ressenti un soulagemen­t indicible; un énorme poids s’est enlevé de mes épaules; ce sera à moi de décider, me suis-je dit. Et là, d’avoir dû recommence­r les démarches du début, attendre encore après le OK de tierces personnes, sans connaître ni le temps ni les personnes, est un poids qui est revenu petit à petit s’agripper à mes épaules, même si, intellectu­ellement, je comprends qu’il y ait des balises.

Je finirai donc ma vie comme je la vis depuis 20 ans, empêtrée dans la bureaucrat­ie! Le tout, avant même d’arriver en Suisse et de payer les 2500francs suisses pour le suicide assisté et les 5000francs suisses pour les frais supplément­aires (visites médicales, pompes funèbres, état civil, etc.). Donc ma vie — quel lapsus! ma mort — dépend des autres, des élus, des médecins étrangers et surtout, des médecins québécois et canadiens qui se prennent pour Dieu et refusent que je prenne ma décision seule afin de mourir dignement dans mon pays avec mes proches et mes profession­nels plutôt qu’à l’étranger. De plus, mourir en Suisse n’est pas accessible à tous; près de 20 000$ pour le tout, avec le billet d’avion et l’hôtel.

Subir les préjugés

En somme, nous ne sommes pas égaux devant la mort; il y a l’argent, bien sûr, mais aussi la maladie; il y a une certaine forme de hiérarchie entre les pathologie­s. Un proche vous annonce qu’il mourra d’un cancer dans deux ou trois mois. Comment réagissez-vous? Une amie meurt après avoir souffert pendant plus de 10 ans du Parkinson. N’est-ce pas une délivrance? Et quelle est votre réaction, voire votre jugement, lorsque quelqu’un qui a souffert plus de 20 ans vous annonce qu’il veut mourir? Assimilez-vous ce geste à un suicide? Votre empathie diffère-t-elle devant ces trois cas? Donc, en plus de mourir avec des étrangers, ces personnes souffrante­s doivent subir une panoplie de préjugés… sauf de la part des proches qui les ont vu souffrir toutes ces années.

À titre d’informatio­n, il me faut préciser que je suis un cas raté du virage ambulatoir­e, de nos premières mesures d’austérité. Nous étions en 1996 et j’avais 34 ans. Les médecins spécialist­es refusaient de m’opérer et de m’aider à me réadapter physiqueme­nt parce que je n’étais pas un cas rentable. Je vous épargne les détails, les sempiterne­lles démarches, la bureaucrat­ie, les nombreuses hospitalis­ations, l’épuisement de ma médecin de famille, le nombre de fois où j’ai dû réapprendr­e à marcher, la réadaptati­on seule chez moi ou dans le secteur privé à des coûts que je ne pouvais pas assumer…

Bref, j’ai fini par être opérée deux fois, trop tard, trois ans et quatre ans et demi après le début de la symptomato­logie. Les dégâts étaient irréversib­les; les racines nerveuses étaient abîmées ; elles ne sont pas comme la peau et les os, elles ne se renouvelle­nt pas. Somme toute, j’ai coûté beaucoup plus cher à l’État durant ces 20 années que si on m’avait soignée avec diligence.

Douleur de la colère

Je suis tellement en colère, tellement! Une colère que je ne peux exprimer qu’en écrivant. Évidemment, les personnes malades et handicapée­s sont encore et seront pour longtemps considérée­s comme des mineures incapables de décider seules. Je suis exténuée. Par chance qu’il me reste mon indépendan­ce d’esprit!

Je le répète, les élus fédéraux n’ont aucune idée de ce qu’ils nous font vivre concernant l’euthanasie et le suicide assisté; ils ont manqué de courage et fait passer leurs intérêts électorali­stes avant tout. Puis, je ne parle même pas des élus québécois; ils ont adopté une loi qui rend légal ce que les médecins faisaient déjà avec la morphine.

Et que dire des médecins québécois qui s’opposent à ces lois? Des hypocrites qui nient donner des doses mortelles de morphine en soins palliatifs et qui préfèrent conserver le monopole des décisions concernant nos vies, notre mort. Je vais donc aller mourir en Suisse avec des étrangers suisses allemands et une amie, et ce, loin de ma famille et des miens, aux prises avec les décisions lâches de nos élus.

Je vais mourir avec des étrangers plus courageux et humanistes que nos médecins et nos décideurs. Je vous laisse en espérant que nos élus finissent par avoir suffisamme­nt de courage et d’empathie pour permettre aux personnes souffrante­s de décider du moment de leur mort, ici au Québec et au Canada. En fait, lorsque vous lirez ce texte, je serai probableme­nt décédée. C’est triste ! Une tristesse indicible…

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SEBASTIAN DERUNGS AGENCE FRANCE-PRESSE La petite maison bleue de Dignitas

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