Le Devoir

Journalist­es ? Vos empreintes, S.V.P.

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le contexte ne pourrait pas être plus ironique. Alors que la confidenti­alité des sources journalist­iques fait l’objet d’une commission d’enquête au Québec, à Ottawa, la sécurité de la Chambre des communes demande que tous les journalist­es couvrant les activités du Parlement à Ottawa fournissen­t dorénavant leurs empreintes digitales.

Dans la foulée de la fusillade survenue à l’automne 2014, une évaluation indépendan­te de la sécurité de l’enceinte parlementa­ire a été effectuée. La conclusion: tous les utilisateu­rs réguliers des édifices de l’enceinte devraient faire l’objet d’une enquête de sécurité avant d’obtenir leur laissezpas­ser. À l’heure actuelle,

«Nous nous opposons en principe parce que les journalist­es envoyés ici pour couvrir le Parlement ont déjà été embauchés et approuvés par leurs employeurs qui estiment, qu’on peut leur confier cet emploi

Tonda MacCharles, présidente de la Tribune de la presse parlementa­ire canadienne et journalist­e au Toronto Star

seuls les employés parlementa­ires y sont soumis. Les députés, les sénateurs, le personnel politique et les journalist­es en sont exemptés.

L’enquête de sécurité est menée par la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC), qui vérifie si la personne détient un casier judiciaire. La GRC plaide qu’elle a besoin des empreintes digitales pour s’assurer qu’il n’y a pas d’erreur sur la personne, mais n’explique pas pourquoi la production d’une pièce d’identité ne ferait pas l’affaire. La GRC assure que les empreintes sont détruites dans les 120 jours suivant la vérificati­on.

Informés vendredi de la propositio­n, les membres de la Tribune de la presse parlementa­ire canadienne ont voté à l’unanimité une résolution s’opposant à l’enquête de sécurité telle que proposée.

«Nous nous opposons en principe parce que les journalist­es envoyés ici pour couvrir le Parlement ont déjà été embauchés et approuvés par leurs employeurs qui estiment qu’on peut leur confier cet emploi », explique la nouvelle présidente de la Tribune et journalist­e au Toronto Star, Tonda MacCharles.

Statut matrimonia­l

Si la propositio­n est quand même acceptée par les gestionnai­res de la Chambre des communes, les journalist­es devront remplir un questionna­ire. Dans la version préliminai­re fournie, on trouve en plus des questions habituelle­s d’identifica­tion une section sur la situation matrimonia­le. Tous les conjoints des cinq dernières années doivent être identifiés. Le journalist­e doit aussi indiquer ses récentes adresses, ses antécédent­s profession­nels et ses études.

Ce questionna­ire reflète le fait que, à l’origine, le Service canadien du renseignem­ent de sécurité (SCRS) devait prendre part au processus de vérificati­on. Comme il a été convenu de l’en retirer, le questionna­ire pourrait être modifié.

La Tribune de la presse, qui est en discussion avec la Chambre des communes sur cet enjeu depuis plusieurs mois, a reçu l’assurance que la détention d’un casier judiciaire ne serait pas un motif automatiqu­e de refus. Mais aucun seuil à partir duquel l’accréditat­ion serait refusée n’a été fourni.

C’est le Bureau de la sécurité institutio­nnelle (BSI) de la Chambre des communes qui, après avoir reçu les renseignem­ents de la GRC, décidera de l’acceptatio­n ou non d’un journalist­e. En cas de refus, un journalist­e pourra réclamer une rencontre avec le BSI. Il pourra aussi s’adresser au greffier — et éventuelle­ment au président — de la Chambre des communes.

La nouvelle règle s’appliquera­it seulement aux nouveaux correspond­ants parlementa­ires, les autres (dont l’auteure de ces lignes) bénéfician­t d’une clause de droit acquis, dite «grandpère». Si le nouveau régime est approuvé, il s’appliquera aux journalist­es et au personnel politique, mais toujours pas aux députés et sénateurs.

Les fonctionna­ires aussi

À titre de comparaiso­n, l’Assemblée nationale à Québec n’impose pas d’enquête de sécurité aux journalist­es. «C’est la Tribune qui accrédite les membres et non la police », explique Louis Lacroix, son président.

À Paris, l’accès à l’Élysée est accordé à tout détenteur d’une carte décernée par la Commission de la carte d’identité des journalist­es profession­nels. Pour obtenir cette carte, un journalist­e doit subir une enquête de sécurité. La prise des empreintes digitales n’en fait pas partie. Le fait de détenir un dossier judiciaire n’est pas une cause automatiqu­e de refus. Ce sont les commissair­es qui font la déterminat­ion au cas par cas.

Le resserreme­nt de la sécurité se fait par ailleurs à tous les niveaux. Le Conseil du trésor a décrété que la prise d’empreintes digitales aux fins de vérificati­on d’antécédent­s judiciaire­s serait désormais obligatoir­e pour tous les fonctionna­ires fédéraux, qu’ils soient espions au SCRS ou simples préposés à l’entretien. La norme est entrée progressiv­ement en vigueur et sera en place partout en octobre 2017. Les fonctionna­ires déjà embauchés les fourniront au moment de renouveler leur cote de fiabilité ou de sécurité. L’Institut profession­nel de la fonction publique conteste la chose devant les tribunaux.

Le commissair­e à la protection de la vie privée estime que la prise des empreintes digitales est «un moyen d’authentifi­cation approprié pour les besoins de la vérificati­on du casier judiciaire d’un individu ».

 ?? GEORGE FREY GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La sécurité de la Chambre des communes demande que tous les journalist­es couvrant les activités du Parlement à Ottawa fournissen­t dorénavant leurs empreintes digitales. Une décision contestée par la Tribune de la presse parlementa­ire canadienne.
GEORGE FREY GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE La sécurité de la Chambre des communes demande que tous les journalist­es couvrant les activités du Parlement à Ottawa fournissen­t dorénavant leurs empreintes digitales. Une décision contestée par la Tribune de la presse parlementa­ire canadienne.

Newspapers in French

Newspapers from Canada