Le Devoir

Une classe modèle victime du « système » d’éducation

- MARCO FORTIER

Voici l’histoire d’une classe hors de l’ordinaire qui rend les enfants bilingues, qui pousse vers le haut des élèves d’un milieu défavorisé, qui fait le bonheur de tout le monde. Mais l’avenir de cette classe d’une école primaire est incertain à cause d’une question de relations de travail.

Ce programme de «bain linguistiq­ue» se trouve à l’école primaire Léon-Guilbault, à Laval. Les 26 élèves francophon­es de cette classe font leurs cinquième et sixième années en anglais. Ce sont des élèves motivés, qui réussissen­t bien.

L’école Léon-Guilbault est située dans un secteur de Laval-des-Rapides qui s’est appauvri au cours des dernières années. L’«indice de défavorisa­tion» accolé au quartier est désormais de 9 (sur une échelle de 10).

Les règles du ministère de l’Éducation sont claires pour un quartier ayant un indice de défavorisa­tion de 9: les écoles doivent avoir un maximum de 20 élèves par classe. Dans ces classes réduites, les enseignant­s ont plus de temps à consacrer à chacun de leurs élèves.

Conséquenc­e: en septembre prochain, 70 élèves de l’école Léon-Guilbault seront transférés vers des écoles de Laval situées dans des quartiers mieux nantis, qui peuvent accueillir plus d’élèves par classe. Pour la classe du « bain linguistiq­ue », à moins d’un changement de dernière minute, ça veut dire que 15 des 26 élèves — ceux qui proviennen­t d’autres quartiers — doivent trouver une place dans une autre école pour septembre prochain. En théorie.

Dans les faits, les parents ignorent ce qui arrivera en septembre. Il est possible que la classe regroupe 20 enfants issus du quartier de l’école Léon-Guilbault. La commission scolaire envisage aussi de déménager la classe dans une autre école. Peut-être aussi que des parents inscriront leur enfant dans une autre école en raison de l’incertitud­e. Le chiffre magique de 20 élèves arriverait par attrition.

« On ne sait pas où iront nos enfants. Il y a un manque de transparen­ce et une improvisat­ion totale. On s’est engagés pour deux ans, et tout à coup l’école nous dit que ce n’est plus possible de continuer la deuxième année. Ça n’a pas de sens», dit Florin Naiche.

Sa fille de 11 ans, Marine, a quitté son école de quartier pour aller à Léon-Guilbault en septembre dernier. La fillette et ses parents sont enchantés: elle était pratiqueme­nt bilingue deux mois après le début de l’année scolaire. Pour Florin Naiche, cette classe hors-norme prouve que l’école publique peut offrir une éducation de grande qualité, même dans un quartier défavorisé. Peu importe l’origine ou le revenu des parents.

Rigidité et fatalisme

Ce qui le révolte, c’est que ce beau projet se heurte à des règles «mur à mur» venues de Québec et à une interpréta­tion qu’il estime rigide du contrat de travail par le syndicat des enseignant­s. Florin Naiche déplore aussi l’espèce de fatalisme qui règne dans le milieu de l’éducation. Un milieu de « fonctionna­ires » dévoués, mais qui s’en remettent aux règles du « système » sans penser au bien-être des enfants, selon lui.

« Je n’ai rien vu de créatif ou de novateur de la part de personne. J’ai vu une passivité qu’on n’accepterai­t jamais dans une entreprise privée», dit Florin Naiche.

Un mécanisme permettrai­t le maintien intégral de la classe de bain linguistiq­ue à l’école Léon-Guilbault: la commission scolaire verserait à l’enseignant entre 1752$ et 2628$ par élève excédentai­re dans la classe. C’est prévu à la convention collective. La présidente de la Commission scolaire de Laval (CSDL), Louise Lortie, affirme avoir proposé cette solution au Syndicat de l’enseigneme­nt de la région de Laval (SERL). Mais le syndicat a refusé.

Pourquoi le SERL a-t-il refusé cette possibilit­é ? Le président du syndicat, Guy Bellemare, a refusé nos demandes d’entrevue. Le SERL n’a « aucun commentair­e » à formuler à ce sujet, indique une porteparol­e. On sait toutefois de plusieurs sources que le respect des ratios maître-élèves est un cheval de bataille du SERL. Le syndicat a récemment gagné un grief contre la CSDL au sujet du respect du nombre d’élèves par classe.

«On a des contrainte­s légales et organisati­onnelles et on doit respecter ça », dit Louise Lortie.

De la souplesse, S.V.P.

Le conseil d’établissem­ent de l’école Léon-Guilbault a demandé à la CSDL de maintenir intégralem­ent la classe de bain linguistiq­ue pour une année, jusqu’à la diplomatio­n de la cohorte actuelle, en juin 2018. La CSDL est d’accord. L’opposition du syndicat des enseignant­s bloque cette piste de solution.

«Le syndicat nous a dit clairement qu’il ne peut pas nous aider à cause des convention­s collective­s nationale et locale, dit Nicolas Riendeau, président du conseil d’établissem­ent. C’est sûr qu’on est déçus, parce que le maintien de la cohorte à Léon-Guilbault est la solution la plus facile à nos yeux. Idéalement, on aimerait qu’il y ait de la souplesse à l’occasion. »

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Florin Naiche déplore que la classe de sa fille Marine soit mise en péril. Les 26 élèves et leurs parents sont emballés par le bain linguistiq­ue de l’école Léon-Guilbault.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Florin Naiche déplore que la classe de sa fille Marine soit mise en péril. Les 26 élèves et leurs parents sont emballés par le bain linguistiq­ue de l’école Léon-Guilbault.

Newspapers in French

Newspapers from Canada