Le Devoir

Guy Taillefer sur Trump, Bannon et leur sombre projet

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Donald Trump est resté égal à lui-même vendredi dans son discours lors de la grand-messe annuelle du monde conservate­ur américain: désespéran­t de simplisme. Plus dangereux que lui est son idéologue d’extrême droite en chef, Stephen Bannon. Plus troublante encore est l’aisance avec laquelle la famille conservatr­ice se range, au nom d’une logique du pouvoir pour le pouvoir.

Fut un temps où Donald Trump, qui a toujours été porté sur l’autopromot­ion, n’était pas vraiment le bienvenu au happening annuel de la Conservati­ve Political Action Conference (CPAC) qui se déroulait ces derniers jours en banlieue de Washington. Quant à celui qui est aujourd’hui son stratège principal, Stephen Bannon, il était carrément banni de la conférence à l’époque où il dirigeait le site d’extrême droite Breitbart. S’ils font encore grincer des dents, la famille conservatr­ice américaine les aura accueillis à bras ouverts cette semaine, trop heureuse d’avoir ravi la présidence à Hillary Clinton. Il n’était donc pas sans contradict­ion de voir tous ces républicai­ns, de tradition pourtant libre-échangiste sur le plan économique, embrasser vendredi les positions protection­nistes de leur nouveau président.

Contradict­oire à moitié seulement, vu la reconfigur­ation que subit le Parti républicai­n, induite par l’élection inattendue de Donald Trump. La grand-messe de la CPAC fut longtemps dominée par les libertarie­ns et les ultraconse­rvateurs religieux. C’est aujourd’hui l’aile populiste, emmenée par le nouveau président et élargie à la mouvance nocive de l’«altright», qui s’installe au pouvoir. M. Trump est son colporteur; et M. Bannon est son gourou, qui a étalé jeudi devant la CPAC toute l’ampleur de sa dangerosit­é en affirmant que la « déconstruc­tion de l’État administra­tif» ne faisait que commencer. Beaucoup pensent que ce monde républicai­n, étant donné l’évolution démographi­que et sociologiq­ue de la société américaine, finira par imploser. Le plus tôt sera le mieux.

En attendant, le président a continué vendredi de prêcher à des convertis, professant sa foi en la National Rifle Associatio­n et répétant en boucle ses promesses de réduire les taxes (des nantis), d’augmenter les dépenses militaires et de relancer l’emploi par repli anti-libre-échangiste. Comme si son incohérenc­e ne l’exposait pas à une impasse budgétaire. Et comme si son projet protection­niste allait radicaleme­nt revivifier le marché de l’emploi. Sait-il que les entreprise­s américaine­s, selon des chiffres relevés par Jeffrey Sachs, n’emploient que 1,5 million de personnes au Mexique et en Chine, soit moins de 1 % de la main-d’oeuvre américaine ?

Où sont les champs de résistance à cette présidence de tous les dangers? Dans le profession­nalisme des médias. M. Trump est allé répéter que les «médias malhonnête­s» sont les « ennemis du peuple», raillant le «Clinton News Network» — pendant que, la veille, M. Bannon, tenant de la guerre totale comme mode de règlement des conflits, annonçait à l’auditoire que les rapports avec la presse iraient «de pire en pire» et qu’il s’agirait d’un « combat de tous les jours ». Le gouverneme­nt Trump en a rajouté vendredi après-midi en interdisan­t, dans une atteinte grossière à la liberté de presse, l’accès à de grands médias comme CNN et le New York Times au point de presse quotidien de la Maison-Blanche.

Si sa détestatio­n de la presse excite sa base, il n’est pas certain que M. Trump soit en train de remporter sa guerre contre les médias. Un nouveau sondage de l’Université Quinnipiac indique justement que les Américains ne font pas particuliè­rement confiance aux médias traditionn­els, mais qu’ils les trouvent malgré tout plus crédibles que le président (par une marge de 52% contre 37%). Un sondage qui donne à penser que, pour beaucoup d’Américains, le respect des faits a encore son importance et que, non, nous ne sommes pas irrémédiab­lement entrés dans une ère post-factuelle…

Les terrains de résistance devraient aussi se trouver au Parti démocrate, qui a rarement été aussi affaibli. Les démocrates ont cru un moment pouvoir composer avec le nouveau pouvoir à certains égards, pour se rendre rapidement compte de leur erreur. L’establishm­ent démocrate se réunit en fin de semaine pour élire le nouveau président du parti. Avant tout, la tâche qui attend cet establishm­ent sera de jeter les bases d’une stratégie d’opposition qui le reconnecte enfin avec les militants. Sans quoi, la consternat­ion citoyenne que crée partout Donald Trump trouvera difficilem­ent à se canaliser politiquem­ent. Ainsi va le système politique bicéphale que sont les États-Unis.

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GUY TAILLEFER

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