Le Devoir

L’ignorance comme alibi

- JEAN-CLAUDE MARSAN Professeur émérite à l’Université de Montréal

L’Institut de développem­ent urbain du Québec (IDU) a présenté en commission parlementa­ire, le 21 février dernier, un mémoire concernant le projet de loi 122. Considéran­t que les municipali­tés constituen­t des gouverneme­nts de proximité, ce projet de loi vise à augmenter leur autorité et leurs pouvoirs. L’IDU souhaite pour sa part que cette loi abolisse les référendum­s locaux pour toutes les grandes villes du Québec, et non seulement pour Montréal et Québec. Pour appuyer son point de vue, il prend comme exemple le cas de l’ancienne maison mère des Soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de Marie, connu aujourd’hui comme le 1420, boulevard du Mont-Royal. Selon l’IDU, cet édifice serait vide depuis sept ans à cause de l’action de certains citoyens qui, en juin 2010, ont tenté d’obtenir un référendum pour empêcher son recyclage en immeuble privé en copropriét­é.

L’ignorance peut servir d’alibi et l’IDU nous en fournit une bonne preuve. Car si les citoyens en question avaient obtenu et gagné ce référendum, tout serait réglé aujourd’hui au bénéfice de l’Université de Montréal (UdeM) et de la communauté. Car la direction de l’établissem­ent ne se serait pas embarquée dans un projet absurde qui lui a fait perdre jusqu’à maintenant non seulement cet édifice patrimonia­l, mais quelque 60 millions de dollars en frais de rénovation inutile, de chauffage et de location de locaux à l’extérieur du campus. Bref, il s’agit d’un scandale qui rappelle celui de l’Îlot voyageur de l’UQAM.

Une question de bon sens

La Faculté de l’aménagemen­t de l’UdeM fut la première au Canada à se doter d’un programme de maîtrise en conservati­on et mise en valeur de l’environnem­ent bâti (1987). Si, avant de se lancer aveuglémen­t dans la vente du 1420, la direction de l’université avait eu la sagesse de consulter des professeur­s de ce programme, elle aurait évité le désastre actuel, car ces professeur­s lui auraient rapidement fait comprendre que cette mise en vente allait contre le bon sens pour trois raisons principale­s.

La première est que cet ancien couvent est situé dans l’arrondisse­ment historique et naturel du Mont-Royal, un arrondisse­ment unique en son genre au Canada, voire en Amérique du Nord, pour ses valeurs patrimonia­les naturelles, matérielle­s et immatériel­les. C’est dans le but de mieux le protéger que le gouverneme­nt du Québec a créé par décret cet arrondisse­ment en 2005. Quelque 80% de la superficie de ce territoire est de propriété publique (cimetières, parcs, collèges, université­s, hôpitaux, etc.). Est-ce le rôle d’une université de vendre au privé un tel bien public sans explorer d’autres avenues ?

Les deux autres raisons ont trait à l’emplacemen­t et à la forme architectu­rale du 1420. Adjacent au Centre sportif de l’université, ce ne sont pas tous les propriétai­res de condos qui seront heureux d’endurer des bruits abrutissan­ts le jour et de subir l’impact des lampadaire­s le soir. Le 1420 est en plus situé dans un secteur dépourvu de services et de commerces de proximité. Enfin, la forme hexagonale de l’édifice et les contrainte­s patrimonia­les exigeant l’intégrité de son enveloppe extérieure posent problème. Ainsi, ses deux cours intérieure­s en manque d’éclairage naturel et d’intimité n’attireront pas les riches, et ce genre d’immeuble en copropriét­é s’adresse habituelle­ment à une classe particuliè­re et non à une mixité sociale.

Tourner le dos à l’avenir

Ce qui est devenu encore plus incompréhe­nsible concernant cette saga du 1420, c’est que la direction de l’UdeM s’est réjouie dernièreme­nt du fait que le Réseau électrique métropolit­ain (REM) envisage de transforme­r la station de métro Édouard-Montpetit en une station intermodal­e, ce qui rendrait son campus encore plus accessible. Alors, est-ce que la vente au privé du 1420, lequel se trouve à quelques minutes de marche de cette station, fut alors une bonne décision pour l’avenir? Comment se fait-il que la direction de l’UdeM puisse réagir ainsi sans se rendre compte des impacts négatifs de ses décisions antérieure­s ? Mystère !

En résumé, la question qui se pose concernant cette interventi­on ciblée de l’IDU est la suivante : qui cherche-t-il à protéger ?

 ?? JACQUES GRENIER LE DEVOIR ?? Ancienne maison mère des soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de Marie
JACQUES GRENIER LE DEVOIR Ancienne maison mère des soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de Marie

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