Le Devoir

Snapchat s’inscrit en Bourse dans un nuage de questions

- FRANÇOIS DESJARDINS

Dans les cercles financiers, une entrée en Bourse a toujours un côté imprévisib­le, les possibilit­és se situant quelque part entre le succès retentissa­nt, l’opération sans événement et le ballon qui se dégonfle. Parfois, aussi, il y a de ces appels publics à l’épargne qui suscitent l’interrogat­ion, non seulement sur le modèle d’affaires de l’entreprise, mais aussi sur ce qu’offre cette dernière concrèteme­nt aux investisse­urs.

Le cas de figure des dernières semaines? Le réseau social Snapchat, dont les publicatio­ns à durée de vie restreinte ont séduit les 18 à 34 ans, qui devrait entrer au Nasdaq au cours des prochaines semaines.

Alors que la direction fait les beaux yeux aux actionnair­es potentiels — elle a fait des présentati­ons à New York et à Londres —, les analystes sont sceptiques. Pourquoi les actions vendues au grand public seront-elles dépourvues d’un droit de vote ? Pourquoi la croissance du nombre d’usagers a-t-elle ralenti quand les concurrent­s — comme Instagram — ont copié ses façons de faire? Le modèle d’affaires est-il durable?

«C’est une très jeune compagnie, alors il n’y a pas beaucoup d’historique, comparativ­ement à Twitter qui est entrée en Bourse après sept ans», dit Sylvain Carle, associé chez Real Ventures, qui, pendant quelques années, a travaillé pour Twitter à San Francisco, où il était « évangélist­e techno » auprès des développeu­rs.

Si les informatio­ns qui circulent sont vraies, les actions seraient inscrites dans une fourchette de prix se situant entre 14 $US et 16 $US, ce qui donnerait à Snap Inc., sa société mère, une capitalisa­tion boursière de 20 à 25 milliards $US. Du coup, les fondateurs deviennent milliardai­res.

Dans les platebande­s de Facebook

Snapchat, qui joue dans les platebande­s de Facebook, d’Instagram, de Twitter et de WhatsApp, a été fondée en 2011, mais ses premiers revenus remontent seulement à 2014. En 2015, son chiffre d’affaires a atteint 59 millions, suivis de 404 millions l’an dernier. L’essentiel des revenus provient de la vente publicitai­re. Elle n’a jamais été rentable.

À la fin de 2016, l’applicatio­n comptait 158 millions d’usagers qui la consultent au moins une fois par jour, une fraction du 1,23 milliard de personnes qui ouvrent Facebook chaque jour. Et qui sont ses usagers? Ils ont de 18 à 34 ans, selon l’entreprise, une catégorie qui n’est pas toujours perçue comme la plus fidèle en matière de réseaux sociaux.

« Nous faisons face à une concurrenc­e significat­ive dans presque chaque volet de nos affaires, tant sur le plan américain que sur le plan internatio­nal», a écrit la direction de Snap Inc. dans les documents réglementa­ires déposés le 2 février. Elle prend soin d’ajouter la liste des noms: Apple, Facebook (dont Instagram et WhatsApp), Google, Twitter…

Ce ne sont pas les fondateurs qui souhaitent généraleme­nt une entrée en Bourse, rappelle Sylvain Carle. Ce sont ceux qui ont injecté le capital de risque depuis les débuts et qui, logiquemen­t, veulent reprendre leurs billes et réaliser un profit sur leur placement. Dans le langage des jeunes pousses, c’est le moment du grand « exit ».

Selon le site spécialisé Crunchbase, Snapchat a passé le chapeau huit fois auprès des spécialist­es du capital de risque, pour un grand total de 2,65 milliards $US.

Conditions de marché

« Si vous me posez la question comme investisse­ur... On n’est pas dans le groupe mais, oui, en effet, j’aurais aimé qu’on investisse là-dedans au début», dit sans détour Chris Arsenault, associé directeur au fonds iNovia Capital. «Celui qui a mis les premiers 500 000 $, Lightspeed Ventures, un fonds duquel on est partenaire­s parfois, va repartir avec 1 milliard $US [si la valeur boursière de 20 milliards $US se matérialis­e]. C’est exceptionn­el ! »

Cela dit, selon M. Arsenault, la valorisati­on plutôt élevée de Snapchat pourrait jeter un froid sur le marché. « Autant ça crée de l’enthousias­me pour les investisse­urs qui étaient là au départ et qui sortent, autant ça soulève des préoccupat­ions, notamment au chapitre des revenus et des pertes. On ne veut pas une bulle. On ne veut pas un enthousias­me de surévaluat­ion qui crée un gros trou par la suite.»

À suivre.

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JUSTIN SULLIVAN AGENCE FRANCE-PRESSE L’un des bureaux de Snapchat, à Venice, en Californie

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