Le Devoir

d’érable avec des sirops de classe: la qualité coule de source

Au Québec, la notion de qualité coule de source

- SOPHIE SURANITI

Doré-goût délicat, ambré-goût riche, foncégoût robuste, très foncé-goût prononcé. La nouvelle classifica­tion des sirops d’érable élaborée au fédéral simplifie peut-être le commerce avec le voisin américain, mais elle réduit une fois de plus la façon d’appréhende­r le produit. Surtout, elle dilue le Québec dans la masse. Comment se démarquer? En pensant « exception ».

Banane, foin, métal, noisette, vanille… Ces termes qui permettent de décrire ce que peut goûter un sirop font partie de la roue des flaveurs de l’érable, un outil-lexique mis au point en 2004 par le Centre Acer (Centre de recherche, de développem­ent et de transfert technologi­que acéricole), en collaborat­ion avec des spécialist­es en analyse sensoriell­e d’Agricultur­e et Agroalimen­taire Canada.

Depuis 2010, à la fin de la saison des sucres, se tient un concours de dégustatio­n à l’aveugle de sirops d’érable, La Grande Sève, qui récompense les meilleurs sirops participan­ts soumis à un jury de dégustateu­rs (chefs cuisiniers, propriétai­res de vignobles, sommeliers, chroniqueu­rs, etc.).

Parler et valoriser les sirops d’érable différemme­nt, à partir d’une grille d’analyse fine et d’un concours de dégustatio­n comme ceux établis pour les vins n’est donc pas une lubie récente de la part de certains acteurs du milieu acéricole. La méthodolog­ie et la promotion existent déjà. Par contre, elles sont restées jusqu’à présent méconnues. Discrètes. À l’écart.

Des passionnés

La Fondation de la Commanderi­e de l’érable, récemment née de la fusion de deux sociétés existantes, entend changer la donne. Le nouveau président de ce regroupeme­nt de profession­nels (majoritair­ement des producteur­s) et de passionnés de l’érable, qui vise à promouvoir les sirops d’exception, est André Pollender.

André, c’est la cabane du Pic Bois avec ses 1300 érables, une méthode de récolte traditionn­elle à la chaudière, un évaporateu­r chauffé au bois. Chez lui, à Brigham, dans les Cantons-de-l’Est, le sirop n’est pas vendu en boîte mais seulement en bouteille. Ses sirops et son vinaigre d’érable, l’acériculte­ur les chérit et les vend cher parce qu’il croit en leur qualité et que, pour lui, cette qualité a un prix. Même les touristes japonais font le détour pour venir manger à sa cabane !

La qualité, soutenue par un bon marketing de mise en marché et un appui du tissu touristiqu­e régional, s’annonce donc comme un argument de vente pertinent contre la concurrenc­e croissante du Maine, du New Hampshire, du Vermont et de New York, qui prennent du ga(l)lon au fil des ans. Car, on s’entend que les bienfaits nutritionn­els de l’érable faisant l’objet d’études scientifiq­ues sont valables de part et d’autre des frontières. Il faut donc se démarquer autrement.

Comment? En créant une classe supérieure de sirops, une top des tops, une classe à part pour des sirops d’exception. Lorsque les sirops d’érable québécois commencero­nt à s’enrubanner de cocardes dorées ou argentées et autres prestigieu­ses reconnaiss­ances sur les tablettes nationales et internatio­nales, les producteur­s acéricoles qui auront joué le jeu de la qualité pourront alors crier: «On fait les meilleurs sirops!»

«Nous savons qu’il y a des sirops exceptionn­ellement bons pendant une courte période de l’année. C’est cette qualité que nous voulons valoriser », explique André Pollender. Mais qu’est-ce qu’un sirop de qualité, d’exception? C’est à ce vaste chantier que s’attaque la Fondation de la Commanderi­e de l’érable, soutenue par la Fédération des producteur­s acéricoles du Québec.

La Fondation a mandaté l’entreprise Papilles Développem­ent pour qu’elle récolte le maximum d’informatio­ns auprès de différents intervenan­ts du secteur, dans le but d’établir quels sont ou seraient ces critères d’exception. Certaines conditions climatique­s? Topographi­ques? Les méthodes de production? Étudier la faisabilit­é avant le grand saut vers une demande d’appellatio­n réservée pour le sirop d’érable. Voilà le premier jalon.

La tâche est colossale, car d’un producteur à l’autre, les avis divergent sur le goût de l’érable et des sirops qui en découlent. Il va donc falloir sensibilis­er tous les producteur­s autour de la qualité, se mettre d’accord sur les termes, n’en retenir que les plus pertinents pour que tout le monde puisse s’engager dans cette voie de sirop d’exception. Y compris pour le système actuel de classement et d’inspection : les inspecteur­s qui font la tournée des producteur­s sont en effet formés pour détecter les défauts des sirops, pas pour en apprécier la qualité.

Vers une nouvelle appellatio­n

«Toute initiative sur la qualité va faire monter le niveau de tout le reste», reconnaît une conseillèr­e en gestion de la qualité à la Fédération des producteur­s acéricoles du Québec. Le but de la démarche? Aller vers une appellatio­n réservée de type spécificit­é, c’est-à-dire relative à une particular­ité du produit (ou un ensemble de caractéris­tiques), non reliée à une origine géographiq­ue, le sirop pouvant être élaboré partout au Québec.

À l’heure actuelle, la seule appellatio­n de spécificit­é québécoise est celle des fromages fabriqués au lait de vaches de race Canadienne, ces fromages ayant des caractéris­tiques particuliè­res en matière de goût, de texture, etc., en raison du lait.

Par contre, gros problème. Tandis qu’une poignée d’acteurs du milieu acéricole échangeaie­nt dans le cadre d’un groupe de discussion organisé par Papilles Développem­ent, un certain mercredi de grande tempête, une autre (tempête) se déroulait au Conseil des appellatio­ns réservées et des termes valorisant­s, l’organisme responsabl­e des dossiers d’appellatio­n: l’annonce de la démission de sa présidente-directrice générale, Anne-Marie Granger Godbout. Un coup dur pour tous les dossiers de demande d’appellatio­n en attente et ceux qui souhaitent déposer le leur à l’automne, comme ce qu’envisage de faire la Fondation de la Commanderi­e de l’érable.

«C’est certain que ce que nous souhaitons obtenir risque d’être beaucoup plus long. Je ne sais pas du tout comment cela va se passer. Par contre, nous devons avancer. Et, pour

«Nous savons qu’il y a des sirops exceptionn­ellement bons pendant une courte période de l’année. C’est cette qualité que nous voulons valoriser.»

cela, nous allons faire pression auprès du gouverneme­nt du Québec», confirme André Pollender. En complément de l’appellatio­n réservée, la Fondation et la Fédération souhaitera­ient mettre en place un système de pastilles de goût, dans le même esprit que celui de la Société des alcools du Québec, mais en prenant comme point de départ la roue des flaveurs de l’érable.

Ces pastilles de couleurs associées à différente­s saveurs permettrai­ent d’amener les consommate­urs plus loin dans leur appréciati­on des sirops d’érable. Comme il faut respecter la nouvelle classifica­tion fédérale, le système partirait des quatre nouvelles associatio­ns couleur-goût, puis les affinerait; le principe d’entonnoir, en quelque sorte. Mais, avant d’atteindre la pointe de l’entonnoir, la flaveur d’érable pur, le saint Graal, le saint Sirop, il risque d’y avoir plusieurs coulées! Qu’on espère toutes de qualité.

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 ?? FONDATION DE LA COMMANDERI­E DE L’ÉRABLE ?? Qu’est-ce qu’un sirop de qualité, d’exception? C’est à ce vaste chantier que s’attaque la Fondation de la Commanderi­e de l’érable.
FONDATION DE LA COMMANDERI­E DE L’ÉRABLE Qu’est-ce qu’un sirop de qualité, d’exception? C’est à ce vaste chantier que s’attaque la Fondation de la Commanderi­e de l’érable.
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