L’enfance multipoquée de Ma vie de courgette par Claude Barras
Le réalisateur raconte la fabrication de Ma vie de courgette, finaliste aux Oscar
Forcément, on devient travailleur social avec un film comme ça. Il y a un côté politique pour enfants. On se positionne : il faut faire quelque chose pour eux dans l’urgence. Non, notre métier ne consiste pas juste à divertir. Claude Barras
Ma vie de courgette constitue un petit événement dans le milieu de l’animation pour enfants. Le film avait déjà fait sensation à La Quinzaine des réalisateurs de Cannes. Primé depuis à Annecy, à Angoulême, à San Sebastián, sacré meilleur film d’animation aux Prix du cinéma européens et aux Lumières, le voici également en nomination pour l’Oscar du meilleur long-métrage d’animation.
Ce film extrêmement touchant a pour cadre un orphelinat pour enfants, aux petits pensionnaires poqués par la vie. Les enfants s’y réchauffent et s’y affrontent. L’inceste, le meurtre, la drogue sont abordés comme des éléments de leur vie courante, sans les maquiller.
L’audace de son propos, sa représentation frontale d’une violence nommée, se joue en stop-motion, patiente technique de marionnettes à actionner de millimètre en millimètre, dirigées comme des acteurs. À travers leurs gros yeux ronds, passe l’émotion entre deux coups de paupières. Le film s’adresse aux huit ans et plus, mais toutes les générations s’y ruent.
Le Suisse Claude Barras, rencontré à Paris, est, comme tous les cinéastes d’animation, abonné à l’ombre patiente davantage qu’à la lumière. Ma vie de courgette, son premier long-métrage après plusieurs courts remarqués (dont Au pays des têtes, Banquise) l’a propulsé vers tous les sommets et le succès populaire: plus de 700 000 entrées en France, vendu dans une cinquantaine de pays. « Sans compter, comme l’explique le cinéaste, qu’il aura une seconde vie dans les écoles et les foyers pour enfants… »
Adapté d’Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris, il a été scénarisé par Céline Sciamma, la brillante cinéaste française de Naissance des pieuvres et de Tomboy.
« Le roman n’était pas autobiographique, précise Claude Barras. L’auteur a travaillé dans un foyer pour enfants. Il connaissait le milieu. Sur la vingtaine d’enfants dont il parlait, j’en ai conservé sept. Le livre à hauteur d’un enfant naïf, est plus dur et explicite que le film. Courgette, le petit garçon, tue sa mère avec un pistolet, en état de légitime défense. »
C’est du bureau de la production que le nom de Céline Sciamma pour le scénario est sorti du chapeau. « Elle adore l’animation et rêvait d’y travailler depuis longtemps, explique Claude Barras. Son intelligence, sa culture, sa sensibilité pour le dosage des émotions ont fait merveille. Nous aimons tous les deux les choses simples, minimalistes. C’était parfait.»
À contre-courant
Ils ont voulu tout aborder, dont le papa pervers de l’amie de Courgette. « Forcément, on devient travailleur social avec un film comme ça. Il y a un côté politique pour enfants. On se positionne: il faut faire quelque chose pour eux dans l’urgence. Non, notre métier ne consiste pas juste à divertir. Aller à l’envers du courant, c’est un pari. On a choisi de parler de choses compliquées en donnant de l’espoir. Les scènes de sexe entre adultes font rire les enfants. Après les projections, ils se montrent curieux de tout. »
C’est toujours du côté des Anglo-Saxons, une clientèle puritaine, que surgissent les réticences. « Les distributeurs américains m’ont demandé d’enlever le zizi de Monsieur Paul. J’ai accepté de lui mettre un slip léopard. Du coup, j’avais peur des doublages, mais ça va. Michel Ocelot avait eu des problèmes analogues avec ses Kirikou, où le petit héros était nu.»
Ma vie de courgette est né à petits pas : «Deux jours pour une minute de film, avec 15 plateaux en parallèle et 10 animateurs qui se baladaient entre eux. En fait, c’est rapide. Chez Disney, ils font trois secondes par semaine. On tourne 12 images par seconde. À l’animation française, les budgets sont plus limités qu’aux États-Unis. Si on m’avait donné 50 millions d’euros plutôt que 8 pour réaliser Ma vie de courgette, j’aurais fait des personnages plus complexes. On est demeuré dans la simplicité. C’est surtout le court-métrage d’animation qui demeure un foisonnement de techniques de liberté, dans le film à petit budget, il faut le dire, comme chez vous, avec vos bons films de l’ONF.» Cet entretien a été réalisé à Paris dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.