L’inapaisable colère de Marc Maron
Portrait de l’humoriste américain qui vient gratter ses bobos à Montréal cette semaine
Figure estimée de l’écosystème des comedy clubs depuis la décennie 1990, Marc Maron n’a goûté à la reconnaissance d’un plus vaste public qu’après des années d’opiniâtreté et d’autosabotage, grâce à WTF, baladodiffusion imaginée en 2009 autour de longues entrevues avec des collègues comiques (puis avec des personnalités d’autres milieux). Pour la première fois depuis son historique conversation avec Barack Obama, il revient cette semaine à Montréal, chargé à bloc par les nouvelles raisons de se mettre en colère que fournit généreusement l’omnipotent président Trump.
«So… yeah… there’s a problem », s’exclamait de sa voix nasillarde Marc Maron en montrant sa gueule barbue sur la scène de la Cinquième salle de la Place des Arts, en juillet 2014. Comment expliquer la tonitruante hilarité avec laquelle la foule avait accueilli cette banale prémisse? C’est que, pour qui connaît bien le quinqua le plus anxieux du monde de l’humour, pareille observation au sujet de l’état éternellement problématique de son rapport à l’existence ne peut qu’avoir une teneur pléonastique. Si Marc Maron se pointe au micro, c’est forcément qu’il a des bobos à gratter. Et de bien gros.
«Cette phrase-là, c’est la chose la plus drôle que j’ai entendue de ma vie», assure l’humoriste québécois Simon Gouache, un fidèle de Maron. «Son personnage est tellement rendu fort et clair que tu ris immédiatement en entendant cette ligne-là, qui n’est pourtant pas intrinsèquement drôle. Marc, c’est un gars qui ne semble savoir faire que deux choses: broyer du noir et trouver des angles comiques, et il se sert de cette tension comme d’une arme de destruction massive. Il m’a appris que ce sont tes faiblesses qui, sur scène, sont tes forces. »
Enregistrées dans le garage transformé en parloir de sa maison de Los Angeles, les conversations intimes et souvent graves qui forment la trame de WTF ont révélé sous un jour inédit plusieurs grands noms du rire et du gratin culturel et politique. Elles révéleront surtout Maron lui-même, permanente boule d’angoisse et d’ego, toujours prompte à (trop?) mettre sur la table son passé de toxicomane ou son amertume de ne pas avoir été retenu dans la distribution de Saturday Night Live il y a plus de vingt ans.
Authentique jusqu’à la démesure
Constamment tiraillé entre des abysses de dégoût de luimême et des sommets de colérique misanthropie, Marc poursuit ainsi sans masque une quête vers la lumière d’une forme d’empathie qui, dans ses meilleurs moments, appelle une éblouissante vérité chez ses interlocuteurs. Des exemples ? C’est au micro de WTF que Todd Glass a fait son coming out. Louis C. K. y a pleuré en racontant la naissance de sa fille (le meilleur épisode de podcast de tous les temps, selon une liste dressée par le magazine en ligne Slate en 2014). Le président Obama y a prononcé le très vilain mot nigger au cours d’un épisode historique mis en ligne en juin 2015, tournant dans la légitimation de la baladodiffusion en tant que média à part entière.
À ceux qui envisagent l’entrevue comme un strict exercice de mise en valeur de son invité, Maron répond qu’il n’y a de réel dialogue que dans l’échange, flirtant parfois par le fait même avec une sorte d’attendrissant narcissisme. Qui d’autre oserait, devant Bruce Springsteen, gaspiller de précieuses minutes de jasette pour évoquer son propre divorce ?
« Il y a une espèce de maladresse chez lui, la maladresse d’un enfant dans le corps d’un homme de 53 ans», observe Simon Gouache, qui étrenne présentement partout au Québec son premier solo. «Quand il reçoit de jeunes humoristes, c’est parfois très évident dès les premières secondes qu’il ne les respecte pas, qu’il est jaloux. Mais c’est ce qui fait sa force: on sait vraiment ce qu’il pense. C’est quand il a commencé à être 100 % authentique qu’il a connu le succès. »
L’humour comme une conversation
Prostré sur un tabouret, cahier de notes posé à ses côtés, Marc Maron préconise sur scène une approche conversationnelle, tranchant avec l’alternance classique entre mise en situation et punch. Jusqu’à quel point improvise-t-il? Sans doute moins qu’on le pense, tant l’illusion fait effet. «Je ne crois pas à ça, me préparer, expliquait-il en 2013 dans son special Thinky Pain. Je ne me prépare pas. C’est mon système. Si je ne me prépare pas et que je m’en tire, je suis un génie. Si je ne m’en tire pas, je peux me consoler en me disant que je ne me suis pas préparé. »
Mais créer à partir de sa crainte inapaisable que demain sera pire qu’aujourd’hui, n’est-ce pas se cheviller à ses tourments? Alors que la reconnaissance rayonne désormais sur lui, après des années de déboires, Marc Maron estil condamné à sans cesse se trouver de nouvelles raisons de bougonner ?
«Je pense qu’il s’améliore — on l’entend dans WTF —, mais je serais étonné qu’il change au point de ne plus avoir de matériel», analyse Simon Gouache, qui confie lui-même négocier quotidiennement avec des troubles anxieux. « Je sais pour ma part que je peux travailler à ce que mon esprit soit habité par plus de pensées positives, mais les pensées néfastes vont toujours rester, en partie.»
Il ajoute, avec dans la voix ce genre d’exaspération amusée que ne nous inspirent habituellement que des amis proches : « Marc, c’est le seul humoriste que je n’irais jamais rencontrer dans sa loge. C’est sûr que si, dans sa tête, ça s’est mal passé sur scène, c’est moi qui écoperais. »
Marc, c’est un gars qui ne semble savoir faire que deux choses : broyer du noir et trouver des angles massive» comiques, et il se sert de cette tension comme d’une arme de destruction L’humoriste Simon Gouache, un fidèle de Maron