Le Devoir

Une vie, la dignité dans l’épreuve

Judith Chemla révèle une présence peu commune en héroïne de Maupassant

- FRANÇOIS LÉVESQUE

UNE VIE

Chronique de Stéphane Brizé. Avec Judith Chemla, Yolande Moreau, Jean-Pierre Darroussin, Swann Arlaud, Nina Meurisse. France, 2016, 118 minutes.

Un domaine normand au début du XIXe siècle. Dans le potager familial, Jeanne observe son père avec attention tandis qu’il lui inculque les préceptes de l’horticultu­re. À peine sortie du couvent, elle est avide d’expérience­s. Puis, la voilà qui passe de fille obéissante à femme mariée, puis d’épouse trompée à mère délaissée. Adapté du premier roman de Guy de Maupassant, Une vie puise dans cette existence difficile la substance d’un film sensible et délicat.

Recourant à de belles grandes ellipses et à un montage impression­niste moins linéaire qu’il n’y paraît, le cinéaste Stéphane Brizé (La loi du marché) filme son héroïne au gré des saisons et des désillusio­ns.

Qu’elle soit gentiment poussée au mariage par ses parents, qu’elle s’oppose à ce que son confesseur prévienne l’époux cocu de la maîtresse de son propre mari, qu’elle exhorte son père à prendre son fils pour apprenti plutôt que de le laisser souffrir dans ce pensionnat qu’il abhorre, chaque fois que Jeanne anticipe un malheur ou pressent une tragédie, elle est contredite par quelque autorité — parentale, conjugale, cléricale — puis renvoyée à sa condition de femme.

Les années passent… Prostrée dans sa cape au bord d’une route, son chignon relâché et son regard hanté, Jeanne attend, à demi folle. Basculera-t-elle irrémédiab­lement ? Une vie, c’est le parcours d’une combattant­e.

Stéphane Brizé n’avait jamais réalisé de film d’époque auparavant. Son approche, qui fusionne des choix esthétique­s classiques et un usage moderne du langage cinématogr­aphique, se compare avantageus­ement à celle de Benoît Jacquot (Adolphe, Au fond des bois), à titre d’exemple.

Afin d’évoquer l’oppression que subit Jeanne en permanence, ce carcan étroit d’alors, Brizé a opté pour un ratio d’image 1.33: 1, c’est-àdire carré plutôt que rectangula­ire. Dès lors, le danger était de composer dans ce cadre une succession de tableaux jolis mais superficie­ls. Au contraire, le cinéaste cherche sens, justesse et vérité dans chaque plan.

S’il y parvient, c’est aussi beaucoup grâce à Judith Chemla, qui a une présence peu commune et qui évite tous les pièges d’un rôle qui aurait pu être passif ou geignard.

Au pire de l’accablemen­t, sa Jeanne demeure vibrante de volonté et de dignité.

Entre femmes

Aspect révélateur : c’est par l’entremise d’une autre femme, son ancienne bonne et amie d’enfance Rosalie (Nina Meurisse), qu’un répit tardif est offert à Jeanne. De la même manière, c’est sa petite-fille, nouvelleme­nt née, qui lui apporte de la lumière en fin de parcours. Encore là, la manière est tout sauf mièvre. Le dernier plan s’avère en cela profondéme­nt réconforta­nt, et d’autant plus émouvant, parce qu’honnête.

Si l’on en croit l’adage, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Or, ce qu’il y a de beau avec le film de Stéphane Brizé, c’est ce constat que l’inverse est aussi vrai. À savoir que tant qu’un espoir subsiste, la vie reste possible.

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DIAPHANA L’approche du réalisateu­r Stéphane Brizé se compare avantageus­ement à celle de Benoît Jacquot.
 ?? FILMS SÉVILLE ?? Louis-José Houde, qui joue le personnage principal de Ça sent la coupe, se révèle plutôt doué dans le registre dramatique.
FILMS SÉVILLE Louis-José Houde, qui joue le personnage principal de Ça sent la coupe, se révèle plutôt doué dans le registre dramatique.

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