David Foster Wallace, étoile filante de la littérature américaine
Une biographie et des nouvelles inédites rappellent l’oeuvre sensible de ce Balzac sous amphétamine
Connaissez-vousle«réalisme hystérique»? C’est le critique anglais James Wood, un peu exaspéré, qui avait forgé le terme en 2000 dans The New Republic en parlant du premier roman de Zadie Smith, Sourires de loup. De gros romans ambitieux à la prose minutieusement surchargée dans lesquels le narrateur semble savoir «un millier de choses mais ne connaît pas un seul être vivant».
Ce mouvement sans forme ni direction (bien sûr), marqué par une intelligence littéraire hyperconsciente de soi, un nom semble l’incarner plus que tout autre: David Foster Wallace (1962-2008). Une sorte de Balzac sous amphétamines, obsédé de linguistique, de théorie des médias et de philosophie, de santé mentale et de tennis, qui aurait assimilé Pynchon, DeLillo et Bret Easton Ellis.
Dans L’infinie comédie (L’Olivier, 2015), par exemple, feu d’artifice et livre culte de près de 1500 pages, des notes de fin de chapitre renvoient parfois elles-mêmes à des notes de bas de page, alors que dans un futur incertain un groupuscule de terroristes séparatistes québécois en fauteuils roulants sème la terreur dans une sorte de confédération nord-américaine.
La littérature, pour cet écrivain surdoué, c’était la possibilité de vivre mille vies et autant de tentatives répétées de s’évader de la prison de la réalité (telle que la définit surtout la télévision). Témoin extrasensible de l’époque, commentateur excessif d’une culture occidentale qui surchauffe, l’écrivain recouvre le marketing, les médias de masse, la Société du spectacle d’une vague d’ironie postmoderne qui charrie plus de désespoir que de cynisme.
C’est en tout cas le portrait qui se dégage de la biographie intéressante, mais un peu paresseuse, que consacre D. T. Max, journaliste au New Yorker, à cette étoile filante de la littérature américaine.
Fils de parents universitaires, écrivain ambitieux, brillant, indéniablement virtuose — peutêtre aussi trop conscient de sa propre virtuosité —, personnage compétitif et égocentrique, Wallace était d’abord un grand névrosé, enchaînant jusqu’à son suicide les dépressions à répétition, les surdoses de sédatifs, les électrochocs.
Recueil de nouvelles
Paru en anglais en 2004, L’oubli présente huit nouvelles où l’on retrouve, sous forme condensée, tout l’univers de David Foster Wallace. Pendant que se réunit un «focus group» de consommateurs pour une nouvelle barre de chocolat, un homme escalade la façade de verre d’un immeuble à l’aide de ventouses (Mister Squishy).
Ailleurs, pendant qu’une classe de 4e année tourne à la prise d’otage après la crise psychotique d’un enseignant suppléant, un garçon regarde par la fenêtre, absorbé dans un rêve éveillé. Plus loin, il nous fait entendre le monologue d’un publicitaire désabusé qui se suicide au volant de sa voiture.
Dans La philosophie et le miroir de la nature, le narrateur raconte l’histoire de la chirurgie plastique ratée de sa mère — l’air de terreur permanente imprimé sur son visage. Fraudes, tromperies, manipulations, échecs, solitude profonde, infinie: sous l’abondance et le tropplein, un enfant terrifié qui ne sait plus où se cacher.
Et partout, des exemples de minutie maniaque: « La moquette de la salle de réunion avait des poils magenta dans lesquels les roues laissaient des empreintes symétriquement déformées quand un ou plusieurs hommes présents déplaçaient légèrement leur profond fauteuil pivotant pour modifier le rapport entre la table et leurs jambes ou leur corps. »
Inscrire jusque dans la chair du lecteur l’aliénation du monde moderne, voilà peutêtre une partie du programme de David Foster Wallace, lui qui qualifiait déjà l’Internet de « Bruit total ».
« Écrire, écrivait-il un jour de 2006 à son ami romancier Jonathan Franzen, c’est toujours comme chier des cailloux pointus. »