Le Devoir

Crise financière: trois questions à l’auteur

- Propos recueillis par Fabien Deglise

Les marchés financiers sont intimement imbriqués dans le politique et le social. Or l’incertitud­e politique et sociale induite par l’élection de Donald Trump ne s’est pas manifestée sur ces marchés, qui, au contraire, depuis l’arrivée de ce dernier à la Maison-Blanche, indiquent un grand optimisme. Comment expliquer cela?

L’optimisme des marchés financiers que vous évoquez s’explique très simplement. Depuis la victoire de Trump, ce dernier a nommé des cadres supérieurs présents ou passés de Goldman Sachs à des postes clés, notamment au Trésor et au très puissant National Economic Council, ainsi que des patrons de fonds spéculatif­s qui n’ont que le mot «privatisat­ion» à la bouche. Lorsqu’il ne s’agit pas de personnes issues de ce milieu, il a fait appel à des croisés de la réduction de l’État à une peau de chagrin. On pense notamment à Betsy DeVos, ministre de l’Éducation, qui entend «faire la peau», il n’y a pas d’autre terme, au réseau public, car elle souhaite, à long terme, que les fous de Dieu et leurs théories à ranger au rayon du négationni­sme, on pense notamment au créationni­sme, occupent le devant de la scène pédagogiqu­e.

L’autre moteur de cet optimisme est le suivant : comme les marchés s’y attendaien­t, la victoire de Trump s’est traduite, il y a une dizaine de jours, par l’abolition de la réforme DoddFrank du secteur financier, pourtant bien timide. Le nouveau gouverneme­nt est allé jusqu’à supprimer une règle éthique élémentair­e, et qui devait avoir force de loi prochainem­ent: soit obliger le courtier à voir à l’intérêt de son client d’abord et avant tout. Aussi inimaginab­le que cela puisse paraître, l’absence d’une telle règle explique que les malfrats de Wall Street n’ont pas été poursuivis.

Vous écrivez que la déréglemen­tation est la mère de tous les emballemen­ts sur les marchés boursiers. Est-ce dire que nous sommes dans l’antichambr­e d’une prochaine crise financière mondiale?

En fait de déréglemen­tation, je crois qu’il faut plutôt parler de destructio­n. Car depuis le milieu des années 1980, les gouverneme­nts se sont appliqués avec méticulosi­té à abolir les balises érigées par le gouverneme­nt Roosevelt dans les années 1930 afin d’éviter une autre crise comme celle de 1929. Toujours est-il que, faute d’avoir discipliné les acteurs financiers, faute d’avoir mis un terme à cette contradict­ion (sic) du capitalism­e que sont l’existence et le maintien de banques jugées «too big to fail» — trop grosses pour qu’on les laisse tomber —, autrement dit des banques assurées du soutien de l’État en toutes circonstan­ces, oui, il faut s’attendre à une autre crise. Viendra-t-elle de l’endettemen­t étudiant, des ménages, de l’immobilier? Allez savoir ! À titre indicatif, je tiens à souligner que le prix moyen d’un appartemen­t situé à New York a dépassé, en décembre 2015, le cap du… million!

Vous parlez dans votre bouquin des «plombiers», ces «manipulate­urs géniaux de la clé à molette informatis­ée» qui oeuvrent dans les coulisses de la finance opaque. En quoi ces plombiers pourraient-ils venir précipiter cette crise?

Ah, ces chers plombiers ! Ils me font penser à ce commentair­e de G. K. Chesterton: «Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison.» Car ces plombiers qui accaparent désormais plus de 40 % des transactio­ns boursières par l’entremise de leurs plateforme­s se moquent totalement de l’exercice que commande la rationalit­é. La qualité de tel produit, la pertinence de telle stratégie d’Apple ou de General Electric, l’essor de Toyota ou de Heinz ne font pas partie de leur logiciel intellectu­el. Ils sont préoccupés d’abord et avant tout par la déstabilis­ation de telle compagnie. Une fois cela réalisé, ils agissent de manière à empocher.

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