Crise financière: trois questions à l’auteur
Les marchés financiers sont intimement imbriqués dans le politique et le social. Or l’incertitude politique et sociale induite par l’élection de Donald Trump ne s’est pas manifestée sur ces marchés, qui, au contraire, depuis l’arrivée de ce dernier à la Maison-Blanche, indiquent un grand optimisme. Comment expliquer cela?
L’optimisme des marchés financiers que vous évoquez s’explique très simplement. Depuis la victoire de Trump, ce dernier a nommé des cadres supérieurs présents ou passés de Goldman Sachs à des postes clés, notamment au Trésor et au très puissant National Economic Council, ainsi que des patrons de fonds spéculatifs qui n’ont que le mot «privatisation» à la bouche. Lorsqu’il ne s’agit pas de personnes issues de ce milieu, il a fait appel à des croisés de la réduction de l’État à une peau de chagrin. On pense notamment à Betsy DeVos, ministre de l’Éducation, qui entend «faire la peau», il n’y a pas d’autre terme, au réseau public, car elle souhaite, à long terme, que les fous de Dieu et leurs théories à ranger au rayon du négationnisme, on pense notamment au créationnisme, occupent le devant de la scène pédagogique.
L’autre moteur de cet optimisme est le suivant : comme les marchés s’y attendaient, la victoire de Trump s’est traduite, il y a une dizaine de jours, par l’abolition de la réforme DoddFrank du secteur financier, pourtant bien timide. Le nouveau gouvernement est allé jusqu’à supprimer une règle éthique élémentaire, et qui devait avoir force de loi prochainement: soit obliger le courtier à voir à l’intérêt de son client d’abord et avant tout. Aussi inimaginable que cela puisse paraître, l’absence d’une telle règle explique que les malfrats de Wall Street n’ont pas été poursuivis.
Vous écrivez que la déréglementation est la mère de tous les emballements sur les marchés boursiers. Est-ce dire que nous sommes dans l’antichambre d’une prochaine crise financière mondiale?
En fait de déréglementation, je crois qu’il faut plutôt parler de destruction. Car depuis le milieu des années 1980, les gouvernements se sont appliqués avec méticulosité à abolir les balises érigées par le gouvernement Roosevelt dans les années 1930 afin d’éviter une autre crise comme celle de 1929. Toujours est-il que, faute d’avoir discipliné les acteurs financiers, faute d’avoir mis un terme à cette contradiction (sic) du capitalisme que sont l’existence et le maintien de banques jugées «too big to fail» — trop grosses pour qu’on les laisse tomber —, autrement dit des banques assurées du soutien de l’État en toutes circonstances, oui, il faut s’attendre à une autre crise. Viendra-t-elle de l’endettement étudiant, des ménages, de l’immobilier? Allez savoir ! À titre indicatif, je tiens à souligner que le prix moyen d’un appartement situé à New York a dépassé, en décembre 2015, le cap du… million!
Vous parlez dans votre bouquin des «plombiers», ces «manipulateurs géniaux de la clé à molette informatisée» qui oeuvrent dans les coulisses de la finance opaque. En quoi ces plombiers pourraient-ils venir précipiter cette crise?
Ah, ces chers plombiers ! Ils me font penser à ce commentaire de G. K. Chesterton: «Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison.» Car ces plombiers qui accaparent désormais plus de 40 % des transactions boursières par l’entremise de leurs plateformes se moquent totalement de l’exercice que commande la rationalité. La qualité de tel produit, la pertinence de telle stratégie d’Apple ou de General Electric, l’essor de Toyota ou de Heinz ne font pas partie de leur logiciel intellectuel. Ils sont préoccupés d’abord et avant tout par la déstabilisation de telle compagnie. Une fois cela réalisé, ils agissent de manière à empocher.