Le Devoir

Tout quitter, et après…

Télé-Québec propose cette semaine trois documentai­res sur la réalité des migrants

- AMÉLIE GAUDREAU

Fuir son quartier, sa ville, puis son pays parce qu’il n’est plus possible d’y vivre ou même d’y survivre. Partir pour une destinatio­n finale souvent inconnue, avec pour bagages à peu près rien, et espérer pouvoir mener une existence plus paisible, du moins tolérable. C’est ainsi que l’on devient migrant, dans l’espoir d’être accepté quelque part en tant que réfugié et réussir à refaire sa vie ailleurs, malgré tout… Les trois documentai­res présentés cette semaine à Télé-Québec portent sur certains aspects de cette réalité, dont on entend souvent parler dans les médias par les temps qui courent, à coups de naufrages sur la Méditerran­ée, de frontières de plus en plus hermétique­s, mais aussi, bien heureuseme­nt, d’accueils qui se veulent chaleureux.

Tout quitter

Le programme double diffusé lundi soir démarre par une version écourtée du longmétrag­e documentai­re Une nuit sans lune, boat people: 40 ans après de Thi Be Nguyen et Marie-Hélène Panisset. Ce film retrace le long et pénible périple de Vietnamien­s (et d’une Laotienne d’origine, la coréalisat­rice du film) vers la liberté (et éventuelle­ment le Canada) après la chute de Saïgon au printemps 1975, qui sonnait la fin de la guerre qui secouait leur pays et annonçait l’instaurati­on d’un régime communiste au Vietnam du Sud.

Les récits entrecrois­és d’hommes et de femmes (dont l’écrivaine Kim Thúy), dont plusieurs étaient alors de jeunes enfants, de cette longue et surtout pénible route vers un ailleurs meilleur, parsemée d’arrêts dans des camps de réfugiés, caractéris­ée par la peur de périr en mer, la faim, la soif, la maladie, ne peuvent faire autrement que de susciter l’admiration et parfois même quelques larmes.

Toutes ces histoires se terminent sur une note optimiste: leur accueil chaleureux et plutôt bien organisé et leur établissem­ent au Québec, comme des milliers de leurs compatriot­es. Le générique de fin s’ouvre sur une phrase qui fait réfléchir: «Et pendant ce temps, en Syrie…»

Accueillir

Le documentai­re qui suit ouvre justement une fenêtre sur la réalité de réfugiés syriens, une fois le long voyage vers la terre d’asile est terminé. D’une mer à l’autre est en quelque sorte le journal de la première année de l’intégratio­n d’une famille de Syriens au Québec, mais surtout celui de l’expérience d’un couple de Québécois qui ont parrainé cette famille afin qu’elle puisse s’établir ici. La réalisatri­ce et animatrice Eza Paventi raconte à la première personne cette aventure unique, qu’elle a entreprise avec son amoureux MarcAndré Audet et d’autres membres de sa famille, de la décision de parrainer des réfugiés, après la médiatisat­ion de la photo de la dépouille échouée du petit Alan Kurdi, jusqu’au premier Noël québécois des Chabo, moins d’un an après leur arrivée au Québec.

Ce portrait d’un parrainage privé, dans le cadre d’un programme fédéral unique au monde et actuelleme­nt «victime de son succès» (le gouverneme­nt Couillard a suspendu les nouvelles demandes pour 2017 depuis le 27 janvier dernier), démontre bien qu’une telle démarche ne peut être prise à la légère. Parce qu’elle demande un investisse­ment majeur, aussi bien financier que personnel, mais également beaucoup de patience, de compassion, de compréhens­ion. Parce que les gens parrainés ne s’intègrent pas à leur société d’accueil du jour au lendemain. Il leur faut apprendre la langue, établir des repères, trouver un logement bien à eux et chercher (et peut-être trouver) un travail, souvent bien éloigné de leur domaine d’expertise.

Cette chronique lumineuse et émouvante d’une première année québécoise, parsemée de grands défis et de petites embûches pour cette famille syrienne qui a l’immense avantage de maîtriser l’anglais à son arrivée, laisse toutefois bien peu de place aux expérience­s moins heureuses pour bien des réfugiés qui sont arrivés en même temps que les Chabo. La réalisatri­ce consacre bien un tout petit segment à une famille syrienne parrainée par le gouverneme­nt, qui s’est retrouvée «larguée» à Saint-Hyacinthe sans réel soutien pour faciliter son acclimatat­ion à sa terre d’accueil, mais on en aurait pris un peu plus. Voilà sans aucun doute un très beau sujet pour un futur documentai­re…

Retenir

Le documentai­re français Le business des migrants montre, comme son titre l’indique, une facette plus sombre de l’accueil de réfugiés. On y explore les moyens utilisés par des gens d’affaires, des commerçant­s, des mafieux et même des élus pour profiter de la «manne» que constitue le flot de réfugiés qui débarquent sur les côtes grecques et italiennes, mais aussi les tactiques parfois adoptées pour empêcher ces derniers de poursuivre leur route vers le nord de l’Europe. Des chambres au prix fort qui sont proposées aux migrants fraîchemen­t arrivés par les hôteliers des côtes grecques afin de maximiser leurs revenus pendant la saison creuse, aux agriculteu­rs qui emploient les migrants coincés en Italie pour des salaires qui relèvent presque de l’esclavage, en passant par les retombées financière­s de la privatisat­ion de l’accueil des réfugiés par le gouverneme­nt Berlusconi, qui profitent autant à la classe politique, aux municipali­tés et aux entreprise­s, c’est un portrait bien noir de cette nouvelle économie pas très propre que dresse ce reportage. Et une impression que l’on tente de «retenir» ces pauvres migrants à la recherche d’un nouveau chez-soi pour de bien mauvaises raisons… Boat people, une nuit sans lune, suivi de D’une mer à l’autre Télé-Québec, lundi, dès 20 h Le business des migrants Télé-Québec, mercredi, 20 h

 ?? TÉLÉ-QUÉBEC ?? D’une mer à l’autre est en quelque sorte le journal de la première année de l’intégratio­n d’une famille de Syriens au Québec.
TÉLÉ-QUÉBEC D’une mer à l’autre est en quelque sorte le journal de la première année de l’intégratio­n d’une famille de Syriens au Québec.

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