Le Devoir

Le temps pourrait jouer contre Trump

- CLAUDE LAFLEUR Collaborat­ion spéciale

Il y a un an, tous les espoirs étaient permis à la suite de l’entente historique survenue à Paris, à l’occasion de la célèbre COP21, alors que l’ensemble des pays s’étaient engagés à limiter le réchauffem­ent de la planète à 1,5 °C d’ici 2100.

Mais voilà que, comme la météo, le climat peut changer du tout au tout en moins d’un an. De sombres nuages nous proviennen­t en effet des États-Unis avec l’arrivée au pouvoir des républicai­ns climato-sceptiques et de l’imprévisib­le Donald Trump.

«J’éprouve moins d’enthousias­me cette année que l’an passé, admet Damon Matthews, spécialist­e des changement­s climatique­s. Je suis renversé par tout ce qui se passe aux États-Unis, mais, en même temps, il ne faut pas désespérer puisqu’on a de bonnes raisons d’espérer. »

Damon Matthews est l’un des spécialist­es de réputation mondiale qui étudient l’impact des émissions de CO2 sur le réchauffem­ent de la planète. Il enseigne au Départemen­t de géographie, d’urbanisme et d’environnem­ent de l’Université Concordia.

De vraies raisons d’espérer

Sa première raison d’espérer est que ni les républicai­ns ni Donald Trump ne peuvent tout bonnement retirer les États-Unis de l’Accord de Paris. «Pour ce faire, dit-il, les signataire­s doivent attendre trois ans. Ensuite, le processus de désengagem­ent prend une bonne année.» Le temps pourrait donc manquer au gouverneme­nt Trump.

En outre, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre relève souvent de chacun des États américains, la Californie étant par exemple un chef de file en la matière. Qui plus est, les entreprise­s américaine­s participen­t déjà activement au développem­ent de technologi­es vertes. « Les Américains ne voudront pas prendre trop de retard par rapport au reste du monde», prédit Damon Matthews.

Bien sûr, on peut craindre que les républicai­ns ne cherchent pas à encourager la diminution des émissions de GES, ajoute-t-il, «mais accumuler un certain retard durant quatre ans ne devrait pas avoir trop de conséquenc­es», estime le spécialist­e.

Il y a par contre le risque que le désengagem­ent de Washington envers la lutte contre les changement­s climatique­s amène d’autres gouverneme­nts à faire de même.

«La question que l’on doit se poser est donc : le reste du monde sera-t-il découragé par les positions de Trump ou, au contraire, incité à en faire davantage par opposition, justement, aux Américains?» expose le chercheur. En quelque sorte, on pourrait vouloir tirer avantage du piétinemen­t américain pour prendre le leadership planétaire en matière de développem­ent durable.

Ce pourrait d’ailleurs être la chance du Canada et du Québec.

Bilan canadien moyen

Si Damon Matthews préfère les positions du présent gouverneme­nt canadien à celles du précédent, il considère néanmoins comme moyen le bilan de Justin Trudeau. Il apprécie ainsi l’imposition d’une taxe sur le carbone tout en déplorant l’autorisati­on accordée par M. Trudeau pour la constructi­on de nouveaux oléoducs.

«Lorsqu’on cherche à réduire nos émissions de CO2, on ne peut pas favoriser en même temps l’exploitati­on des sables bitumineux en plus d’autoriser des infrastruc­tures de transport pétrolier, dit-il. Ça n’a aucun sens ! »

Damon Matthews estime au contraire qu’on doit favoriser la constructi­on d’infrastruc­tures servant à la production d’énergie renouvelab­le et à son transport. En particulie­r, le gouverneme­nt devrait aider à la mise en place de réseaux de transport de l’électricit­é d’un bout à l’autre du pays «afin que les régions qui génèrent des surplus d’électricit­é puissent l’acheminer vers celles qui en ont besoin », précise-t-il.

De même, on doit favoriser les infrastruc­tures de transport en commun plutôt que de nouvelles autoroutes. De ce fait, le projet de train électrique de la Caisse de dépôt

est, de l’avis du spécialist­e, une excellente idée.

Vers les énergies vertes

Pour Damon Matthews, il devient de plus en plus essentiel que toutes nos décisions prennent en compte la lutte contre les changement­s climatique­s, ce qui n’est généraleme­nt pas le cas. Ainsi, sur une base individuel­le, il est souvent difficile de tenir compte de ce facteur dans nos choix puisque cela nous coûte souvent plus cher.

«Les gouverneme­nts devraient par conséquent instaurer des politiques qui appuient le développem­ent durable», suggère M. Matthews, par exemple en facilitant l’achat de produits et de services qui favorisent la diminution de nos émissions de GES. Et en toute logique, ajoute-t-il, nos gouverneme­nts devraient cesser de subvention­ner l’industrie pétrolière pour plutôt soutenir les énergies vertes et les solutions durables.

Importants progrès déjà réalisés

Il nous faut aussi mettre fin à tout doute, quel qu’il soit, concernant l’existence des changement­s climatique­s, tranche le chercheur. « Ceux-ci sont incontesta­bles, dit-il, et c’est une perte de temps que de chercher à les mettre en doute. »

De même, il est absurde et néfaste de se dire qu’il n’y a rien à faire, qu’il est trop tard et que, de toute façon, jamais nous ne parviendro­ns à endiguer les changement­s climatique­s. «C’est une autre façon de les nier, fait-il remarquer, que de se dire que, puisqu’on ne peut rien y faire, autant ne pas s’en préoccuper.»

Au contraire, poursuit Damon Matthews, non seulement on peut agir, mais nous avons fait déjà d’importants progrès. Ainsi, rapporte-t-il, ces trois dernières années, nous sommes parvenus à stabiliser nos émissions de CO à l’échelle de la planète.

C’est là un progrès extrêmemen­t surprenant, souligne-t-il. «Il y a cinq ans, aucun scientifiq­ue n’aurait osé imaginer qu’on parviendra­it aussi rapidement à stabiliser nos émissions de CO2. On imaginait plutôt qu’il nous faudrait une bonne décennie pour y parvenir. Mais voilà que nous y sommes déjà en quelques années seulement. C’est remarquabl­e!»

«Cela démontre qu’on évalue encore très mal nos capacités à agir, renchérit-il. Il est donc utile, très utile même, que nous fassions tous des efforts, et non pas que nous nous demandions si ça vaut la peine ou si on parviendra à un résultat. Car la réponse est oui… si nous nous y mettons tous.»

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KEVORK DJANSEZIAN GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE La Californie est le fer de lance américain en technologi­es vertes et possède les plus petites émissions de gaz à effet de serre par personne malgré son économie et sa population grandissan­tes.
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SUSAN WALSH ASSOCIATED PRESS Ni les républicai­ns ni Donald Trump ne peuvent tout bonnement retirer les ÉtatsUnis de l’Accord de Paris, selon Damon Matthews.

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