Le Devoir

SUCO L’agricultur­e durable au secours du climat

- ETIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

Du Sénégal au Pérou, une activité se révèle charnière dans l’adaptation des pays du Sud aux changement­s climatique­s : l’agricultur­e.

Résistante à la sécheresse, la plante Leucaena leucocepha­la, aussi surnommée faux mimosa, donne de l’espoir aux agriculteu­rs dans le plateau de Thiès, au Sénégal. Le Groupe recherche appui initiative­s mutualiste­s (GRAIM), une organisati­on sénégalais­e, cultive cette plante fourragère dans ses pépinières. Celle-ci permet de capter davantage d’azote dans l’air et d’enrichir la structure du sol. Plantée sur les terres agricoles, elle crée un ombrage et limite l’érosion du sol. «Cela permet aux agriculteu­rs d’éviter le recours aux engrais chimiques, mais aussi de renforcer les champs », explique Jean-Pierre Faye, chargé de projet en environnem­ent pour le GRAIM, par l’entremise de Skype.

Comme plusieurs pays du Sud, le Sénégal se révèle durement touché par les changement­s climatique­s, devant lesquels ses agriculteu­rs se retrouvent sur la ligne de front. Les pluies ont substantie­llement diminué dans les dernières décennies dans ce pays, forçant les cultivateu­rs, qui avaient jusque-là souvent recours au déboisemen­t et au désherbage, à réinventer leurs approches.

Le GRAIM a fait appel à l’organisme de coopératio­n internatio­nale SUCO pour mener en partenaria­t un projet de renforceme­nt des capacités locales. Nommé Dunda ak Kéew bi, qui signifie «Vivre longtemps avec l’environnem­ent» en wolof, celui-ci vise à accompagne­r six communes de la région dans l’élaboratio­n et la mise en oeuvre de plans en matière d’environnem­ent et d’adaptation aux changement­s climatique­s.

«Nous avons besoin d’échanger nos savoirs, de nous renforcer, de découvrir ce que d’autres ont fait et ce que le Canada a réalisé en matière d’environnem­ent, indique André Demba Wade, coordonnat­eur du GRAIM. Ce n’est pas le même contexte, mais quand nous nous mettons ensemble, nous pouvons réaliser d’autres expérience­s au profit des population­s.»

Selon M. Wade, l’adoption de nouvelles pratiques dans le secteur agricole demeure cruciale, tant en raison des répercussi­ons des changement­s climatique­s sur cette activité qu’en raison de l’inverse. « Au Sénégal, comme dans tous les autres pays de la sous-région, nous allons perdre beaucoup d’efforts si nous ne prenons pas en compte la question de l’agricultur­e. »

Un enjeu mondial

Cette préoccupat­ion n’est pas unique à l’Afrique de l’Ouest. L’Organisati­on des Nations unies a intégré la promotion de l’agricultur­e durable aux Objectifs du développem­ent durable, adoptés en 2015. Selon ses chiffres, 75% de la diversité des cultures a disparu des champs des agriculteu­rs depuis les années 1900. L’ONU considère qu’une meilleure utilisatio­n de la biodiversi­té agricole pourrait contribuer à obtenir des régimes alimentair­es plus nutritifs et des systèmes agricoles plus résilients.

Actuelleme­nt, 80% de la nourriture consommée dans les pays en développem­ent provient de petites exploitati­ons agricoles locales. « Lorsque celles-ci sont perturbées par les changement­s climatique­s, cela affecte assez rapidement la sécurité alimentair­e des gens du Sud», soulève Geneviève Talbot, chargée de recherche et de plaidoyer pour Développem­ent et Paix, qui a participé, à titre d’observatri­ce, aux négociatio­ns sur le climat lors de la COP21 de Paris en 2015 et de la COP22 de Marrakech en 2016.

Lors de la dernière Conférence des parties (COP), les négociatio­ns sur l’agricultur­e et la sécurité alimentair­e n’ont débouché sur aucune entente. « Les pays n’arrivent pas à s’entendre parce que ceux du Nord poussent pour une diminution des émissions de gaz à effet de serre en agricultur­e alors que les pays du Sud demandent clairement plus de moyens pour être en mesure de s’adapter aux changement­s climatique­s », observe-t-elle.

Mme Talbot considère que, dans les 2,65 milliards que le Canada s’est engagé, en 2015, à débourser sur cinq ans pour aider les pays en développem­ent à lutter contre les changement­s climatique­s, une plus grande proportion devrait être consacrée à l’agricultur­e paysanne.

Elle met en avant comme solution l’agroécolog­ie, une agricultur­e paysanne diversifié­e et biologique, sans engrais chimique ni organisme génétiquem­ent modifié (OGM). Cette pratique, en plus d’améliorer la qualité des sols, permet une meilleure résilience aux changement­s climatique­s par la culture de plusieurs plantes de manière simultanée. «Ils vont maintenir une production acceptable malgré une sécheresse, évoque-t-elle. Comme c’est une agricultur­e diversifié­e, ils vont par exemple perdre leur café, mais ce qu’ils auront fait pousser sous les cafetiers va continuer de produire. »

Le café durement touché

Andréanne Grimard, consultant­e indépendan­te auprès d’agences onusiennes sur les enjeux d’agricultur­e, de déforestat­ion et de changement­s climatique­s, a constaté à quel point la culture du café était touchée par les changement­s climatique­s lorsqu’elle était à la tête du bureau nord-américain du réseau Solidarida­d. Comme le café pousse en altitude dans des endroits tempérés, un réchauffem­ent du climat entraîne une cascade de conséquenc­es. « Les zones où l’on en fait pousser deviennent de moins en moins viables. Mais plus on monte en altitude, moins il y a de terres disponible­s, souligne-t-elle. Souvent ces terres sont boisées. Donc, pour y accéder, il faudrait faire de la déforestat­ion, ce qui aggraverai­t encore plus les changement­s climatique­s. »

Comme initiative intéressan­te pour pallier ce problème, elle évoque celle de l’entreprise sherbrooko­ise Ecotierra, qui accompagne des coopérativ­es paysannes au Pérou, en Colombie et en Côte d’Ivoire pour reboiser des terres, dégradées auparavant par une agricultur­e intensive de maïs ou de riz, afin d’y cultiver du café ou du cacao sous l’ombre d’arbres.

«Cela permet d’assurer un bon revenu aux producteur­s et un usage plus durable des sols », indique Guillaume Nadeau, directeur des communicat­ions d’Ecotierra. L’entreprise, fondée en 2011, a bâti en partie son modèle d’affaires sur les crédits compensato­ires de carbone générés par cette activité. «Si j’ai des aires protégées soumises à une pression agricole autour, par le biais d’un projet où l’on va essayer de mettre en place de l’agricultur­e durable, on va éviter que le déboisemen­t continue d’avancer et on évite des émissions de gaz à effet de serre.»

Mme Grimard note que même les grandes entreprise­s investisse­nt de plus en plus dans l’agricultur­e paysanne durable à travers leur chaîne d’approvisio­nnement. Elle évoque la déclaratio­n du New York sur les forêts, signée en 2014 par une quarantain­e de multinatio­nales. «Ils comprennen­t qu’il y a de plus en plus de risques à leur réputation concernant la déforestat­ion, mais ils voient aussi de plus en plus des risques quant à leur pouvoir de s’approvisio­nner à des prix qui leur conviennen­t dans le futur.»

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 ?? PHOTOS SUCO ?? Le Sénégal cultive désormais le faux mimosa, une plante fourragère résistant à la sécheresse et limitant l’érosion, et qui permet de capter davantage d’azote dans l’air et d’enrichir la structure du sol.
PHOTOS SUCO Le Sénégal cultive désormais le faux mimosa, une plante fourragère résistant à la sécheresse et limitant l’érosion, et qui permet de capter davantage d’azote dans l’air et d’enrichir la structure du sol.
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