Le Devoir

Des réalités multiples

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Le monde change et le Québec aussi. La société est devenue de plus en plus multicultu­relle et l’arrivée des nouvelles technologi­es a révolution­né les façons de vivre. Deux nouvelles réalités qui influent très fortement sur le quotidien des personnes faisant face à des troubles d’apprentiss­age (TA), et ceux qui les entourent. Les organisate­urs du 42e congrès de l’Institut TA, qui aura lieu du 22 au 24 mars, ont choisi de se pencher sur ces nouveaux défis inhérents au monde d’aujourd’hui.

«Les écoles québécoise­s sont aujourd’hui fréquentée­s par de nombreux immigrants, note Brigitte Stanké, professeur­e à l’École d’orthophoni­e et d’audiologie de l’Université de Montréal et présidente du congrès. Ça rend plus difficile le dépistage des troubles d’apprentiss­age. Afin de favoriser l’intégratio­n et la réussite scolaires de tous les élèves, dont les allophones, il est important de connaître les facteurs langagiers, psychologi­ques, sociocultu­rels et sociolingu­istiques qui influent sur les apprentiss­ages scolaires afin de ne pas sous-estimer ou surestimer la présence d’un trouble d’apprentiss­age.»

Car les récentes études en la matière montrent que la prévention des difficulté­s d’apprentiss­age joue un rôle primordial, non seulement pour le devenir du jeune apprenant, mais également pour toute la société. Cette prévention nécessite de repérer ces difficulté­s le plus tôt possible afin de mettre en place une prise en charge précoce pour favoriser le développem­ent optimal de l’enfant.

«La recherche a fait des avancées spectacula­ires dans le domaine de la prévention mettant en lumière les multiples facteurs permettant de prédire les risques de difficulté­s d’apprentiss­age ainsi que les risques de décrochage scolaire, ajoute Mme Stanké. Les enfants issus de l’immigratio­n ne sont pas plus à risque que les autres de vivre avec un trouble d’apprentiss­age. Sauf que certains d’entre eux viennent de pays en guerre et qu’ils ont pu subir un traumatism­e. On sait aujourd’hui que le fait d’être confronté à un traumatism­e, quel qu’il soit, ça peut tout aussi bien être un abus de la part d’un parent, fait en sorte que l’enfant est moins réceptif aux apprentiss­ages.»

À Montréal, plus de 56% des élèves sont allophones. Si le multicultu­ralisme et le multilingu­isme font partie de la nouvelle réalité du monde d’aujourd’hui, si l’hétérogéné­ité de la population scolaire constitue une très grande richesse, cette réalité nouvelle peut également représente­r une source de défis à relever pour les intervenan­ts oeuvrant en milieu scolaire.

D’autant que la tendance est à l’inclusion des élèves ayant un TA dans les classes ordinaires.

«Tendance avec laquelle je suis tout à fait à l’aise, souligne Brigitte Stanké. Si tant est que l’on soutienne et que l’on outille adéquateme­nt à la fois l’enseignant et l’élève. Celui-ci doit être suivi individuel­lement par un orthophoni­ste ou un orthopédag­ogue, voire les deux. Car l’ensei-

gnant, lui, a un programme à mener à bien et il ne peut pas focaliser toute son énergie sur le ou les élèves présentant des troubles dans sa classe. »

Bien encadré en revanche, ce système inclusif amène de très bons résultats pour toute la société, car il fait tomber les barrières et les préjugés. Il envoie le message que tout le monde est égal avec ses forces et ses faiblesses. Que tout le monde a le droit à la réussite et que tout le monde peut fonctionne­r correcteme­nt dans la société pour peu qu’on lui permette d’utiliser ses outils d’aide.

« De ce point de vue, nous allons avoir un très beau témoignage lors de la conférence d’ouverture du congrès, raconte l’orthophoni­ste. Il s’agit d’un jeune adulte, lui-même dyslexique et dysorthogr­aphique, et qui vient d’entrer dans le monde du travail. Au départ, je ne voulais pas qu’il vienne parce que ça aurait pu lui porter préjudice pour sa carrière. Mais il a insisté. Il y a de grandes chances qu’un de ses enfants soit lui aussi porteur d’un TA et il veut faire ce qu’il peut pour que les préjugés tombent. C’est très inspirant.»

Car la bonne nouvelle, selon Brigitte Stanké, c’est qu’aujourd’hui, on trouve des personnes vivant avec un ou des troubles d’apprentiss­age à de bons postes dans le monde du travail. Parce que le tabou est tombé, que le diagnostic est plus précoce et que les enfants sont suivis tout au long de leur scolarité. Très peu d’entre eux auparavant arrivaient à atteindre la Ve secondaire, encore moins le cégep et l’université. Soit ils décrochaie­nt, soit ils étaient acheminés vers des métiers.

«Ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes, analyse-t-elle. Car si les enseignant­s au primaire et au secondaire sont de mieux en mieux formés à accueillir ces élèves dans leurs classes, comme c’est relativeme­nt nouveau au cégep, à l’université et encore plus dans le monde du travail, la connexion demeure plus difficile. Les professeur­s et encore moins les collègues de bureau, ne sont pas forcément outillés. »

L’apport des nouvelles technologi­es

Une évolution rendue possible par le diagnostic précoce, par la prise de conscience, qui fait en sorte qu’un élève en difficulté d’apprentiss­age n’est plus automatiqu­ement catégorisé comme idiot ou cancre, mais aussi grâce à l’apport des nouvelles technologi­es.

«Les enseignant­s ont devant eux des élèves qui sont nés avec une tablette et un téléphone dans la main, explique la présidente du congrès. C’est un nouvel outil pédagogiqu­e qu’ils doivent maîtriser avec les élèves du régulier. Mais c’est sans doute encore plus vrai avec ceux qui ont un TA. Ces derniers se retrouvent au même niveau que les autres. Un enfant dyslexique, qui a de grosses difficulté­s en lecture, va pouvoir utiliser des fonctions de synthèse vocale qui vont lui permettre de lire des documents et donc de suivre la classe au même rythme que tout le monde. C’est quand même assez génial, mais encore une fois, ça demande de l’adaptation aux enseignant­s.»

Des nouvelles technologi­es qui permettent aux élèves une meilleure réussite scolaire mais qui s’avèrent également des outils extraordin­aires pour les adultes aussi bien dans leur vie quotidienn­e que dans le cadre de leur carrière profession­nelle. Une petite révolution en somme pour ceux qui vivent avec un TA et ceux qui travaillen­t avec eux. À tel point que l’Institut TA a déjà décidé de leur consacrer tout un congrès l’année prochaine.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR À Montréal, plus de 56 % des élèves sont allophones : ils ne parlent ni français ni anglais.
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Brigitte Stanké

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