Le Devoir

Taux de diplomatio­n

Un sérieux coup de barre à donner

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaborat­ion spéciale

Parce que l’éducation est un service public aussi important que les soins de santé, que des interventi­ons précoces auprès de jeunes qui prennent du retard sont une nécessité, que l’excellence en enseigneme­nt devrait être valorisée par la société et qu’on attend des adultes qu’ils soient des modèles de persévéran­ce, Égide Royer propose cinq idées importante­s pour que le Québec fasse ses classes.

«Le taux de jeunes qui quittent l’école sans diplôme est de 25% chez les garçons et de 15% chez les filles; il y a donc un très sérieux coup de barre à donner», lance Égide Royer, professeur associé au Départemen­t d’études sur l’enseigneme­nt et l’apprentiss­age à l’Université Laval qui s’intéresse à la réussite scolaire depuis de nombreuses années. C’est en comparant la situation québécoise avec d’autres qu’on constate que la province pourrait vraiment faire mieux : «Chez les jeunes en difficulté, le taux réel de diplomatio­n est de 28 % alors qu’au Massachuse­tts, il est de 69% et aux États-Unis, globalemen­t, il est de 60%. C’est un véritable scandale quand on pense qu’on dépense 2,3 milliards chaque année pour les élèves en difficulté. On tourne en rond », déplore le professeur.

Des idées pour aller de l’avant

«La première chose à faire au Québec, et l’Ontario l’a fait, c’est d’offrir la maternelle dès quatre ans non pas seulement en milieu défavorisé, mais à toutes les familles», affirme Égide Royer. Il est vrai que la proportion de jeunes en difficulté et en retard dans les milieux défavorisé­s est importante, mais la majorité des jeunes en difficulté de quatre ans ne vivent pas dans ces milieux. «Les meilleurs systèmes éducatifs dans le monde intervienn­ent très tôt», c’est ce qui

fait leur succès, observe le professeur, qui ajoute « qu’un dollar investi en prévention permet d’économiser six dollars d’interventi­on et de rendre les jeunes heureux et de réussir à l’école. »

«Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté demeure l’éducation», affirme tout simplement Égide Royer, qui va jusqu’à affirmer que l’éducation est «transgénér­ationnelle»: un enfant, même issu d’un milieu difficile, qui réussit à l’école et apprend à lire rapidement a de grandes chances de réussir son secondaire et de s’orienter vers des études collégiale­s, et «il voudra certaineme­nt la même chose pour ses propres enfants. » En d’autres termes, les interventi­ons éducatives influencen­t plus d’une génération. Toutefois, il faut investir intelligem­ment en éducation, rappelle le professeur.

«Objectivem­ent, il y a 191 000 élèves en difficulté au Québec, dont 65% sont des garçons. Si on veut bien comprendre la réussite scolaire, on doit faire une différence entre les garçons et les filles », déclare le psychologu­e. Mais pas seulement, puisqu’on remarque aussi des disparités importante­s entre les anglophone­s et les francophon­es, entre le public et le privé et le Québec et l’Ontario. «La majorité des jeunes réussissen­t, mais un garçon sur trois et une fille sur cinq ne réussiront pas. C’est indécent. » Les écarts sont bien présents, mais ne sont pas nécessaire­ment une fatalité et il est possible de les réduire.

« On attrape les mythes

comme on le fait pour le rhume au Québec», lance à la blague notre chercheur en ajoutant très sérieuseme­nt qu’« il est urgent de s’appuyer sur les pratiques exemplaire­s et les données probantes». Il rappelle qu’il a été recommandé de créer un institut national en éducation indépendan­t du gouverneme­nt, des partis politiques, des commission­s scolaires et des syndicats.

Finalement, le dossier de la santé mentale des enfants est très préoccupan­t. Et pour cause puisque, selon l’Ordre des psychologu­es du Québec, il y aurait une surutilisa­tion de la médication et une surmédical­isation générale des conduites et des comporteme­nts à l’école. Normalemen­t, on intervient d’abord en classe si un enfant a un problème de comporteme­nt, ensuite ce sera le psychoéduc­ateur ou le psychologu­e et, si l’on a vraiment des signes que l’enfant ne répond pas, c’est par la suite qu’on le dirige vers un médecin. Pourtant, selon Égide Royer, «on se retrouve avec un modèle très médical de l’adaptation scolaire, où ça prend bien souvent un diagnostic pour être capable d’obtenir un financemen­t. Et on se retrouve malheureus­ement avec des diagnostic­s qui entraînent une médication ».

Des solutions innovantes

Si des constats s’imposent, il ne faut toutefois pas baisser les bras puisque des solutions s’offrent au système d’éducation québécois. Et Égide Royer en propose quelques-unes. Tout d’abord en ce qui concerne l’interventi­on précoce. Cette dernière implique d’avoir accès à des services profession­nels très tôt, dès la garderie, mais il faut aussi devenir «obsessif au niveau de l’apprentiss­age de la lecture en première, deuxième et troisième années. C’est fondamenta­l et c’est un des meilleurs prédicteur­s qui permettent d’intervenir très rapidement pour les problèmes d’adaptation scolaire et de comporteme­nt.» Depuis quelques années, le Québec a fait de grands progrès en lecture et, aujourd’hui, un enseignant dispose d’outils et est beaucoup moins démuni face à un élève en difficulté. Égide Royer souligne aussi l’importance de maintenir un plancher solide et garanti de services profession­nels dans les écoles: ergothérap­ie, psychologi­e, psychoéduc­ation, orthophoni­e, service social.

«Présenteme­nt, il y a de l’optimisme dans le réseau parce qu’on a vraiment l’impression qu’on a un ministre qui s’occupe du dossier.» Est-il nécessaire de préciser que le coup de barre doit être donné par le gouverneme­nt, car «c’est le reflet de l’importance qu’on accorde à l’éducation au Québec. »

Égide Royer recommande des mesures directemen­t dans les écoles et dans les classes même, mais d’autres actions relèvent de l’organisati­on et de la structure, et il juge primordial­es la maternelle dès l’âge de quatre ans, mais aussi l’école obligatoir­e jusqu’à 18 ans : « Un ministre de l’Éducation qui aura le courage de le faire, ça serait déjà quelque chose. »

Aimer les enfants, les soutenir et les aider va faire en sorte que 80% d’entre eux vont réussir, mais les autres ne doivent pas être des laisséspou­r-compte : ils doivent bénéficier de services particulie­rs, non pas dans un but égalitaire, mais dans un but de justice pour tous.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR «Chez les jeunes en difficulté, le taux réel de diplomatio­n est de 28% alors qu’au Massachuse­tts, il est de 69% et aux États-Unis, globalemen­t, il est de 60%. C’est un véritable scandale quand on pense qu’on dépense 2,3 milliards chaque année pour les...
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