L’apprentissage des lettres est aussi important que le jeu
Depuis l’adoption de la loi 23 à l’été 2013, 188 classes de maternelles 4 ans à temps plein ont vu le jour au Québec. Implantées uniquement dans des milieux défavorisés, elles ont pour objectif de réduire l’écart de réussite entre les enfants vulnérables et ceux qui sont prêts pour l’école. Ayant contribué par leurs travaux à la mise en oeuvre de cette stratégie, quatre chercheurs de l’Université du Québec à Montréal présenteront un symposium sur le sujet lors du prochain congrès annuel de l’Institut des troubles d’apprentissage (Institut TA). Pour en savoir plus, Le Devoir s’est entretenu avec l’une d’eux, Monique Brodeur, qui est également doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM.
C’est au milieu des années 1970 que les premières classes de maternelle 4 ans ont fait leur apparition au Québec. Elles n’étaient alors offertes qu’à mi-temps dans les quartiers défavorisés urbains. Si leur nombre a crû au fil des ans, en 1998, le gouvernement québécois, préférant mettre l’accent sur le développement du réseau des centres de la petite enfance (CPE), a stoppé leur développement en imposant un moratoire. Dans la foulée, le ministère de l’Éducation a adapté sa programmation en offrant la maternelle 5 ans à temps plein à tous les enfants, et en ajoutant un bloc éducatif pour les enfants qui fréquentaient la maternelle 4 ans à mi-temps en milieu défavorisé.
Un projet phare
Il faudra attendre 2009 avant qu’une première classe de maternelle 4 ans à temps plein voie le jour au Québec. Créée à l’école Saint-Zotique de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), dans le quartier Saint-Henri, cette dernière a été mise sur pied en collaboration avec le groupe de chercheurs qui offrira le symposium sur les maternelles 4 ans lors du congrès de l’Institut TA.
«De 2007 à 2009, je menais une étude avec des commissions scolaires de l’île de Montréal sur le développement d’un volet orthopédagogique d’un programme de prévention des difficultés d’apprentissage en lecture à la maternelle 5 ans, relate Mme Brodeur. Plusieurs écoles de milieux défavorisés faisaient partie de l’étude, dont l’école Saint-Zotique. Au terme du projet, la directrice de l’école, Yolande Brunelle, m’a approchée en me disant que la maternelle 4 ans à mi-temps n’était pas suffisante pour répondre aux besoins des enfants de son quartier.»
Il faut savoir qu’à cette époque, plusieurs des enfants inscrits à l’école Saint-Zotique présentaient des retards de développement et
des difficultés graves du comportement (45% contre 35% à Montréal). Comme très peu d’entre eux avaient fréquenté des milieux de garde au cours de leur petite enfance, dès la maternelle, bon nombre manifestaient des retards et des difficultés laissant présager une scolarité difficile.
«Dans le but d’aider ces enfants à mieux se préparer pour l’avenir, Mme Brunelle et son équipe ont décidé de proposer à la CSDM de mener un projet pilote dans leur école pour développer une maternelle 4 ans à temps plein avec un programme enrichi. Elle nous a demandé, à mes collègues et moi, de les accompagner dans leur démarche.»
Acceptant l’offre de Mme Brunelle, des chercheurs de l’UQAM — sous la responsabilité de la professeure France Capuano — se sont joints à l’équipe de l’école Saint-Zotique pour mettre sur pied une maternelle 4 ans à temps plein et y implanter des activités éducatives en fonction des connaissances issues de recherches.
«On a développé un programme enrichi et on a veillé à travailler au niveau des deux dimensions qui sont considérées comme importantes pour l’organisation des services préscolaires, c’est-à-dire au niveau de la qualité structurelle et de la qualité du processus », relève Mme Brodeur.
Rapidement, des résultats concluants ont été constatés. Notamment, les élèves ayant pris part au projet se sont en général montrés mieux préparés pour la maternelle 5 ans que leurs pairs des années précédentes.
Des conditions à réunir
Quatre ans plus tard, soit en juin 2013, la ministre de l’Éducation du Québec, Mme Marie Malavoy, annonçait l’implantation progressive de la maternelle 4 ans à temps plein en milieu défavorisé. Depuis, plusieurs classes de ce type ont vu le jour dans la province, et ce, principalement dans des écoles dont le niveau de défavorisation est très élevé. Conçues dans une perspective de complémentarité, elles ne remplacent pas les services de garde éducatifs à la petite enfance déjà existants, mais s’ajoutent plutôt à l’offre.
Si Mme Brodeur salue ce déploiement, elle signale qu’il reste des aspects cruciaux à consolider pour que la maternelle 4 ans à temps plein puisse favoriser réellement le développement global et la réussite éducative des élèves.
Elle souligne que, depuis plusieurs années, la tendance au Québec a été de promouvoir la découverte et le jeu symbolique chez les 4 ans. Or, d’après la recherche, pour réduire de façon significative le nombre d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage ou de comportement, il est nécessaire que les enseignants proposent en plus des activités explicites et systématiques, tout en étant ludiques.
L’avis du Conseil supérieur de l’éducation (2012) va d’ailleurs dans ce sens. Tout en réaffirmant la place du jeu, il souligne que «favoriser l’apprentissage actif en engageant les enfants dans l’expérimentation et le jeu n’implique pas de renoncer aux activités suggérées par les éducatrices ou les enseignantes ni à un enseignement plus explicite de certaines habiletés».
«De plus, alors que le Québec est déterminé à combattre l’analphabétisme et que les difficultés d’apprentissage de la lecture minent la réussite éducative, il est essentiel que le prochain Programme de formation de l’école québécoise pour la maternelle 4 ans comporte comme objet d’apprentissage la connaissance de lettres, l’un des plus importants prédicteurs de succès pour la réussite de l’apprentissage de la lecture, souligne Mme Brodeur. Il importe également d’y ajouter les arts, parce qu’il s’agit d’une composante fondamentale de l’éducation. »
Symposium
Lors du congrès annuel de l’Institut TA, Mme Brodeur, Mme Capuano et deux autres chercheurs de l’UQAM ayant travaillé sur le projet-pilote de l’école Saint-Zotique, Christa Japel et Marc Bigras, proposeront un survol des principales questions relatives à l’implantation de la maternelle 4 ans à temps plein en milieu défavorisé. Ils traiteront notamment de l’impact des ser vices préscolaires sur le développement des habiletés cognitives et socioaffectives des enfants ainsi que la pertinence des approches universelles et ciblées dans le déploiement des services éducatifs préscolaires. Ils aborderont également des concepts fondamentaux de l’éducation préscolaire et présenteront les différents éléments qui assurent la qualité éducative des milieux préscolaires. Le programme de leur symposium peut être téléchargé sur la page Web de l’institut.