Le Devoir

Tendre la main aux enfants anxieux

- RÉGINALD HARVEY Collaborat­ion spéciale

Ces enfants-là sont dotés d’un sens de l’anticipati­on hors du commun : ils pressenten­t des situations qui leur apparaisse­nt problémati­ques et qui leur compliquen­t l’existence dans la vie et en milieu scolaire. Parents et enseignant­s les aident à composer avec leur anxiété.

Àpeu près tout le monde est appelé à vivre avec cette émotion, et cela, pour différente­s raisons; elle présente un caractère plutôt universel : « À la base, cette anxiété est normale et elle va souvent nous amener à nous dépasser. C’est aussi un facteur de protection pour que l’on soit en mesure de bien juger des situations dangereuse­s ou compromett­antes », explique Julie Beaulieu, professeur­e et directrice du programme en adaptation scolaire à l’Université du Québec à Rimouski, campus Lévis.

Mais il arrive que des dérapages se produisent: «Là où ça devient anormal ou problémati­que, plutôt que pathologiq­ue, c’est quand les élèves éprouvent des difficulté­s à gérer cette anxiété. Il en découle qu’ils évitent de faire face à des situations jugées critiques, qu’ils ne veulent pas être placés dans certains contextes, qu’ils refusent de participer à des jeux, de socialiser avec d’autres enfants ou d’affronter diverses évaluation­s, notamment sous forme d’examens au primaire et au secondaire.»

Dans de tels cas, les enfants manifesten­t différemme­nt une sorte de mal de vivre qui se fonde sur l’anticipati­on : «Leurs comporteme­nts deviennent excessifs et démesurés par rapport aux situations qui leur sont présentées, ce qui est beaucoup lié à l’anxiété.»

Les enfants anxieux vont anticiper les événements : « Qu’est-ce qui va m’arriver si? Le “Et si…” fait partie de leur vocabulair­e: “et s’il m’arrivait telle chose ou s’il se passait telle chose”. C’est à ce moment-là qu’il faut les ramener dans l’aspect concret d’une situation où tout se passe bien. »

Sur la piste de l’anxiété

Il arrive aussi que des complicati­ons se présentent, comme l’explique Mme Beaulieu, docteure en psychopéda­gogie : «On entre dans “le plus anormal” lorsque ces comporteme­nts deviennent fréquents, qu’ils perdurent, lorsque cette forme d’émotions envahit leur quotidien, les empêche de jouir de la vie, de jouer avec les autres de façon normale, et lorsque leur quotidien est constammen­t perturbé.» Il apparaît alors que le développem­ent de ces enfants anxieux est compromis sur les plans social et scolaire et qu’ils traversent une phase de profonde détresse.

Est-il possible d’intervenir avant d’en arriver à ce stade? «Dans certains cas, il y a au départ beaucoup de manifestat­ions d’ordre physiologi­ques qui sont ressenties par l’enfant luimême: palpitatio­ns, rougeurs, tremblemen­t, bégaiement, pleurs et crises de colère. » Les jeunes enfants manifesten­t souvent leur détresse sous la forme de maux de coeur ou de ventre.

La professeur­e énumère bon nombre d’autres signaux utiles pour évaluer correcteme­nt ce qui ne tourne pas rond: « Les enfants peuvent par exemple éprouver des difficulté­s à effectuer des raisonneme­nts ou à demeurer attentifs parce que leurs pensées sont accaparées par tout ce qu’ils anticipent, et cela, même à long terme.» Elle fournit ce conseil aux parents et aux enseignant­s désireux de détecter un trouble d’anxiété: «Faites parler l’enfant pour savoir par rapport à quoi il est anxieux; il arrive que la cause relève d’un problème très bénin, qui peut être réglé aisément. »

Il existe des aspects plus difficilem­ent palpables de ce problème, mais il est plus aisé de le mettre au jour en se tournant vers les conséquenc­es qu’il peut provoquer sur la réussite ou le vécu scolaire en général : « Il faut se poser des questions à ce sujet; les échecs ne se situent peut-être pas seulement sur le plan scolaire, mais peuvent aussi être causés par d’autres facteurs, dont l’anxiété fait partie.»

Il est possible pour les parents et les enseignant­s d’apporter du soutien aux enfants anxieux : «C’est un travail qui s’inscrit dans une perspectiv­e davantage à moyen et à long terme, et les deux doivent intervenir en collaborat­ion pour comprendre l’anxiété. Il leur appartient de questionne­r l’enfant pour savoir d’où elle émane réellement.»

Dans leur questionne­ment, l’un et l’autre ont intérêt à «adopter une attitude calme, réconforta­nte et rassurante. De son côté, il faudra que l’enfant traverse ses épreuves avec l’aide de ces personnes-là et, pour y arriver, on parle d’un pas à la fois, donc, de la méthode des petits pas».

Pour sa part, l’enseignant dont la classe fonctionne dans un encadremen­t avec des règlements apportera un meilleur soutien à l’enfant anxieux: « Il est sécurisé par le fait de savoir comment les choses vont se passer. » Et chaque fois qu’il franchit un petit pas, elle recommande fortement aux gens autour de lui « de lui apporter du renforceme­nt et du réconfort tout en le ramenant surtout dans la réalité des choses».

Elle donne un exemple à ce sujet : «Il faut calmer les “Et si…” chez lui, en tenant ce genre de discours : si tu obtenais 0 % et si tu échouais, que se passerait-il? Tu es capable de te reprendre, on va travailler ensemble et on va y arriver.»

Un désarroi tridimensi­onnel

Julie Beaulieu décortique la problémati­que en laissant voir qu’il existe trois composante­s de l’anxiété et qu’il importe d’agir sur les trois aspects de ce triangle. Elle se penche sur la pensée qui est le premier: « On évite les “Et si...” pour être dans le moment présent où il ne se passe rien et tout est sous contrôle dans l’environnem­ent. On tente d’enlever les anticipati­ons qui sont erronées.»

Elle tient ces propos au sujet du deuxième, celui des comporteme­nts : «Sur ce plan, on utilise la méthode des petits pas en franchissa­nt les différente­s étapes pour progresser. » Quant au troisième aspect, celui des sentiments, «on doit considérer qu’il est normal de ressentir de l’anxiété, mais qu’il importe de tenter de la gérer ». La recette pour y arriver est d’en déterminer clairement les causes.

Cette anxiété chez l’enfant a-t-elle tendance à se dissiper et à disparaîtr­e à un âge plus avancé, à l’adolescenc­e par exemple ? « Pas nécessaire­ment, et tout dépend des enfants et de la façon dont le problème a été traité. Plus le processus d’identifica­tion est complexe, plus on prend de temps pour intervenir, plus il en découle qu’il faudra utiliser divers moyens d’interventi­on durant plusieurs années avant qu’on arrive à gérer cette anxiété-là.» Et d’autres vivront toute leur vie avec elle.

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ISTOCK C’est quand les enfants n’arrivent pas à gérer leur anxiété que la situation est problémati­que ou anormale.
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Julie Beaulieu

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