Le Devoir

La carpe asiatique a atteint le Québec

L’espèce envahissan­te va provoquer des ravages dans le fleuve et les rivières

- ALEXANDRE SHIELDS

La crainte s’est transformé­e en menace très concrète. La carpe asiatique est désormais présente dans le fleuve Saint-Laurent, ce qui signifie que les principaux cours d’eau du sud du Québec risquent d’être envahis par une espèce qui a provoqué des ravages aux États-Unis et qui serait pour ainsi dire impossible à éradiquer.

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a confirmé mardi que les tests menés au cours des derniers mois ont permis de détecter la présence de la carpe de roseau, l’une des quatre espèces de carpes asiatiques, à 16 endroits le long du fleuve Saint-Laurent.

Les données du ministère indiquent que cette espèce serait déjà présente dans le secteur de Montréal, mais aussi à différents endroits situés en aval, soit de Repentigny jusqu’à la tête du lac SaintPierr­e. La carpe a même été détectée dans la rivière Richelieu et la rivière Saint-François. Selon ce qu’a fait valoir le Dr Louis Bernatchez, de l’Université Laval, la superficie du territoire où les scientifiq­ues ont détecté la présence de la carpe asiatique est donc déjà importante.

Même si le ministère ne peut confirmer avec certitude qu’il s’agit bel et bien d’une population de carpes de roseau en train de s’établir dans le Saint-Laurent, tout indique que le phénomène prend une ampleur qu’on ne soupçonnai­t pas il ya à peine quelques mois. Et plus rapidement que prévu.

Au printemps 2016, une première carpe de roseau de près de 60livres a en effet été capturée dans le secteur de Contrecoeu­r. Mais à ce moment, tout portait à croire qu’il pouvait s’agir d’un spécimen isolé, a expliqué mardi Véronik de la Chenelière, de la direction de l’expertise sur la faune aquatique du MFFP. Aujourd’hui, le doute n’est plus possible. «La carpe de roseau est physiqueme­nt présente dans nos cours d’eau, dans le fleuve Saint-Laurent, mais aussi dans deux rivières. »

Milieu propice

Le problème, c’est que les eaux de la portion fluviale du Saint-Laurent sont très accueillan­tes pour la carpe de roseau. «C’est un habitat tout à fait semblable à son habitat d’origine, c’est-à-dire

L’une des quatre espèces a été détectée en seize endroits le long du fleuve Saint-Laurent

les grands fleuves d’Asie. On ne se pose même pas la question, c’est certain que c’est un habitat propice », a souligné Véronik de la Chenelière.

Une fois installée, a-t-elle expliqué, tout indique que la carpe de roseau provoquera des ravages dans l’écosystème du fleuve, mais aussi des rivières et des lacs qu’elle pourra coloniser. «Ces carpes ont un appétit très vorace, une grande fécondité et un taux de croissance qu’on ne connaît pas chez nos espèces indigènes. Elles atteignent donc rapidement une taille à partir de laquelle elles ne sont plus du tout vulnérable­s à la prédation. Ce sont des poissons qui ont des caractéris­tiques exceptionn­elles, qui peuvent complèteme­nt modifier l’habitat et remplacer les espèces indigènes.»

La carpe de roseau, qui peut atteindre 1,25 mètre de longueur et peser plus de 50kg, se nourrit de végétation aquatique. Elle mange jusqu’à l’équivalent de 40% de son poids chaque jour, en plus de tolérer une grande gamme de températur­es et de faibles concentrat­ions d’oxygène.

L’exemple américain

Pour comprendre l’ampleur des dégâts que peut provoquer la carpe asiatique, il suffit de regarder du côté des États-Unis, où les quatre espèces ont été introduite­s dans les années 1970 pour contrôler la végétation dans les exploitati­ons piscicoles du sud du pays.

Ces poissons, qui se sont retrouvés accidentel­lement dans le bassin du Mississipp­i à la suite d’inondation­s, ont réussi à remonter le mythique fleuve et à envahir les cours d’eau rattachés à celui-ci sur une distance de plus de 1500 kilomètres. Dans la rivière Illinois, à quelques dizaines de kilomètres des Grands Lacs, les carpes représente­nt à certains endroits plus de 90% de la biomasse animale du cours d’eau.

Malgré les mesures prises par le Canada et les États-Unis pour tenter de freiner la propagatio­n, Pêches et Océans Canada a confirmé en janvier que la carpe asiatique est bel et bien « arrivée » dans les Grands Lacs. Le ministère a aussi admis que «les conséquenc­es écologique­s de la présence de la carpe de roseau dans la plupart des zones du bassin des Grands Lacs pourraient être extrêmemen­t graves dans les 50 prochaines années ».

Inquiétude­s

Au Québec, les données publiées mardi par le MFFP suscitent déjà de vives inquiétude­s au sein des organismes qui oeuvrent pour la protection du Saint-Laurent et des cours d’eau qui y sont liés.

Pour Louise Corriveau, directrice générale de la Table de concertati­on du lac Saint-Pierre, l’arrivée de la carpe de roseau est une très mauvaise nouvelle. Selon elle, cette espèce représente clairement une menace pour tout l’écosystème du cours d’eau, et notamment pour ses herbiers, habitat essentiel pour 40 espèces de poissons. «On travaille à la restaurati­on des herbiers, mais maintenant, on voit cette espèce qui s’attaque précisémen­t aux herbiers. C’est un peu découragea­nt », a-t-elle dit.

Même son de cloche du côté de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs. Sa porte-parole, Stéphanie Vadnais, a dit craindre «des effets complèteme­nt dévastateu­rs pour plusieurs espèces indigènes». Et selon elle, l’expé- rience américaine démontre qu’il ne semble pas exister de moyens d’éradiquer les carpes asiatiques une fois qu’elles se sont installées dans un cours d’eau.

Les constats du MFFP forcent d’ailleurs le ministère à redoubler d’efforts, a admis mardi Véronik de la Chenelière. «La confirmati­on de l’arrivée de la carpe de roseau nous oblige à passer à une vitesse supérieure plus rapidement. Il faut déjà mettre en place des actions concrètes pour limiter autant que possible la propagatio­n. » Pour le moment, un budget de 1,7 million de dollars est prévu sur trois ans pour faire face au phénomène.

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ISTOCK La carpe de roseau peut peser jusqu’à 50 kg et mesurer 1,25 mètre de longueur.

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