Le Devoir

Planète Terre: poussée de fièvre xénophobe en Afrique du Sud

- Collaborat­eur Le Devoir JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY

Il n’y a évidemment pas qu’aux États-Unis et en Europe que l’immigratio­n suscite un ressac contre les étrangers. Depuis deux semaines, l’Afrique du Sud, sorte de «pôle Sud» migratoire où les Africains, principale­ment, espèrent un avenir meilleur, est secoué par de violentes manifestat­ions xénophobes. Et ce n’est pas une première dans la «Nation arc-en-ciel», toujours en quête d’une société post-raciale. Pourquoi cette poussée de fièvre xénophobe? Réponses de Joanie Thibault-Couture, doctorante affiliée au CERIUM et au Pôle de recherche sur l’Afrique et le monde émergent.

Qui est ciblé par les manifestan­ts ?

La violence qui a éclaté la semaine dernière dans la périphérie de la capitale, Pretoria, cible des commerces qui sont tenus par des immigrants. Parmi les victimes, il y a des commerçant­s et des personnes originaire­s du Nigeria, du Zimbabwe et de la Somalie. Les violences xénophobes sont courantes en Afrique du Sud depuis quelques années. La première crise s’est déroulée en 2008 à Johannesbu­rg. Cet épisode de violence avait fait 62 morts, près de 700 blessés, et déplacé entre 17 000 et 200 000 personnes. En 2015, une seconde vague de violence avait fait irruption dans la région métropolit­aine et dans la province du KwaZulu-Natal.

Qui sont les manifestan­ts? De quoi accusent-ils les immigrants?

La vague de violence xénophobe est concentrée dans les ghettos de l’ouest de Pretoria. Ce sont des quartiers populaires habités surtout par des personnes d’origine africaine.

Les protestata­ires demandent au gouverneme­nt d’être plus sévères en matière d’immigratio­n. Ils accusent les étrangers de tous les maux qui rongent le pays: ils sont considérés comme responsabl­es du trafic de drogue et de la prostituti­on; ils sont aussi accusés de travailler illégaleme­nt et de voler les emplois aux Sud-Africains. Bref, d’être la cause du fort taux de chômage (26,5%) qui frappe le pays.

Le rapport de la South African Human Rights Commission a par ailleurs expliqué la crise xénophobe de 2008 par les mauvaises relations entre les résidants et les autorités municipale­s, la corruption, l’indifféren­ce des autorités quant à la xénophobie et l’incapacité des forces policières à gérer les violences.

Quel est le portrait de l’immigratio­n en Afrique du Sud?

Selon des données de 2015 de l’Organisati­on mondiale pour les migrations, les immigrants représente­nt près de 6% de la population sud-africaine. Les Zimbabwéen­s et les Mozambicai­ns — issus de deux pays limitrophe­s de l’Afrique du Sud — sont les nationalit­és les plus représenté­es parmi les immigrants. Le troisième rang est occupé par le Lesotho, suivi du Royaume-Uni. D’importants mouvements de population proviennen­t aussi de l’Asie, principale­ment de Chine et d’Inde.

En ce qui concerne les immigrants en situation irrégulièr­e, les données sont extrêmemen­t variables: les estimation­s vont de 500 000 à 7 millions d’individus. Bien que la plupart d’entre eux travaillen­t dans les domaines tels l’agricultur­e, le tourisme et dans le secteur informel, certains sont impliqués dans des réseaux criminalis­és. Par exemple, des groupes criminalis­és venus du Nigeria ont implanté des réseaux de drogue dans les années 1980. Ces trafiquant­s sont des immigrants irrégulier­s, sans grande surprise. Voilà notamment pourquoi les Nigérians ont mauvaise réputation en Afrique du Sud.

Dans le contexte de la vague migratoire qui a gagné l’Europe ces dernières années, est-il juste de considérer l’Afrique du Sud comme le «pôle Sud» de cette vague?

Les migrants qui gagnent l’Europe sont surtout issus du Moyen-Orient ou de la partie nord du continent africain. Les mouvements de population y sont beaucoup plus massifs. Les migrants qui se dirigent en Afrique du Sud proviennen­t surtout des pays qui lui sont limitrophe­s.

Bien que les conflits armés aient cessé dans la région de l’Afrique australe, les décennies de violences et de régimes autoritair­es ont engendré des économies nationales faibles et marquées par une corruption endémique. Dans ce contexte, l’Afrique du Sud, avec une économie plus performant­e, est vue comme un espoir pour plusieurs.

On peut dire qu’en raison de la diversité des pays d’origine des migrants, leurs motivation­s ne peuvent qu’être variables: certains souhaitent améliorer leurs conditions de vie, alors que d’autres fuient la guerre.

Comment le gouverneme­nt répond-il à cette forte opinion anti-immigratio­n ?

Les expulsions sont courantes en Afrique du Sud et touchent majoritair­ement les immigrants irrégulier­s venus d’Afrique australe, mais aussi ceux des principaux pays d’immigratio­n. En 2014, le gouverneme­nt sud-africain a durci les politiques d’immigratio­n, mais il existe tout de même des permis spéciaux pour faciliter l’entrée des migrants des Lesotho et Mozambique voisins.

Concernant la crise actuelle, le président sud-africain, Jacob Zuma, a déclaré que les médias ne devraient pas traiter des manifestat­ions comme étant de nature xénophobe. Pour lui, elles sont plutôt le reflet de l’emprise de la criminalit­é sur les citoyens. Un des leaders des manifestat­ions de Pretoria a également lancé un nouveau parti politique, appelé South Africa First, qui aura au coeur de sa plateforme les expulsions de masse. Voir aussi › Planète Terre à 20 h à Canal Savoir et à l’adresse ledevoir.com/planete-terre.

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MARCO LONGARI AFP Une manifestat­ion anti-immigratio­n a eu lieu le 24 février.
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