Juste une petite touche de rien
Leif Vollebekk présente Twin Solitude, un troisième album serein traversé par le thème du voyage
Q«L’album
est peut-être un peu sévère, mais pas déprimant, ça non Leif Vollebekk
uatre ans après nous avoir ensorcelés avec les effluves country folk de North Americana, l’auteur-compositeur-interprète montréalais Leif Vollebekk ramène sa voix ondulée et ses chansons aigresdouces sur l’attachant Twin Solitude, un troisième album qui sera présenté ce jeudi soir sur la scène du théâtre La Tulipe.
Son disque de la simplicité, de la chanson «qui vient naturellement » et qui, tout aussi naturellement, s’est débarrassée du pedal steel et des rythmes chaloupés de la ballade western de ses premiers enregistrements. Conversation à bâtons rompus sur le métier, l’inspiration… et le problème avec les communiqués de presse.
Comme ça, la dernière tournée fut difficile, Leif? Car c’est écrit, là, dans le communiqué accompagnant la sortie de Twin Solitude : Leif a frappé un mur. Citons encore: « Pendant ses longues tournées, Leif se réfugiait dans sa chambre d’hôtel après les spectacles pour écouter l’album Pink Moon de Nick Drake, seul dans le noir… »
«Pas vrai, ça», interrompt l’intéressé. Rangez les violons, y a pas de drame, pas de burn out à l’horizon. «Ils» , les patrons de l’étiquette Secret City, «n’avaient pas aimé le premier texte que j’avais écrit pour ce communiqué», alors ils en ont inventé un nouveau. Discrète au fond de la salle de conférence de la maison de disque, l’attachée de presse pouffe de rire. « What you gonna do ? Bon, ensuite, l’album est peut-être un peu sévère, mais pas déprimant, ça non. Et puis après, avoir un peu de “alone time” pour moimême? Hell yes!» balance le souriant Franco-Ontarien d’origine, dans les deux langues.
En toute simplicité
Voilà qui rassure parce que, de vous à moi, écouter seul dans le noir cet ultime album du mythique auteur-compositeur-interprète anglais paru deux ans avant qu’il décide d’en finir avec la vie (à 26 ans), c’est inquiétant. La référence est lourde de sens mais n’est cependant pas veine, Leif reconnaissant que les deux influences déterminantes dans l’enregistrement de cet album sont ce superbe et superbement triste Pink Moon… et Thriller de Michael Jackson.
Thriller, vraiment? « C’est à cause de la réalisation : tout est tight sur Thriller, c’est un peu sombre, aussi. Chaque élément est au bon endroit, la voix de Jackson est présente mais jamais imposante», naturelle, pas ensevelie sous les basses ou les orchestrations. Le musicien poursuit son explication en détaillant le type de micro que Jackson a utilisé pour enregistrer cet album, et comment ça l’a poussé à choisir le bon micro pour que sa voix perce aussi clairement.
En comparaison avec North Americana, album enregistré dans quatre studios différents aux chansons jolies, mais accablées par le poids des orchestrations folk-country, Twin Solitude paraît tout léger. Comme si Leif avait fait le ménage dans sa boîte à musique, avait mis le superflu dans un sac-poubelle pour ne garder que l’essentiel — et au passage fuir les clichés folk pour assumer une posture de chanson plus pop et plus mûre. Exactement ce que Nick Drake avait fait sur Pink Moon, disque enregistré en toute simplicité — guitare et voix seulement, avec quelques notes de piano superposées sur la chanson-titre qui ouvre le disque.
«Ce disque est parfait, résume Vollebekk. Ça n’a rien à voir avec le timbre de sa voix ou sa manière de jouer, c’est juste un album enraciné, sans détails de réalisation. Juste une petite touche de rien. Surtout, t’as l’impression de le connaître à travers cet album, il est complètement transparent. Que t’aimes ou pas sa musique, son travail, ce n’est même pas important, tu as découvert qui il était. C’est ce que je voulais faire, un album dans lequel j’étais aussi honnête. »
Naturellement
Écrit principalement au piano «parce que c’est plus le fun, assis avec un papier et un crayon, tu peux même tenir l’accord et écrire de l’autre main, c’est comme si tu n’arrêtais jamais de jouer», Twin Solitude est venu tout aussi naturellement au créateur. « Je commençais à écrire des mots, à chanter un peu, et les chansons apparaissaient, c’était comme écouter la radio, disons. La chanson sort. Jamais [dans le processus] je ne me suis dit “Ah! j’aurais besoin d’écrire une chanson de telle manière, j’aurais besoin d’un hit quelque part, ou d’une ballade pour mettre à la fin du disque.” »
Y en a pourtant, une ballade à la fin du disque. Elle se nomme Rest, se déploie sur plus de huit minutes dans de moelleuses orchestrations de harpe (celle de Sarah Page des Barr Brothers), d’harmonium, d’instruments à vent, pour clore un disque serein traversé par le thème du voyage. Le meilleur album de Leif Vollebekk, y a pas de doute.
«Ce sont des chansons comme de petites transes», illustre le musicien.