La grogne se transporte vers l’ouest
La circonscription de Manon Massé survit ; Outremont et Mont-Royal devront fusionner
L«[…] Il y a des gens qui pensent contester cette décision devant les tribunaux » Marvin Rotrand
a nouvelle carte électorale a été accueillie par un tollé d’indignation dans le « West End» de Montréal. À l’intérieur du bureau de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce (CDN-NDG), Marvin Rotrand pestait contre la décision de la Commission de la représentation électorale (CRE) de fusionner les circonscriptions d’Outremont et de Mont-Royal tout en repoussant les frontières de celle de D’Arcy-McGee, et ce, moins d’un mois après avoir écarté ce scénario au profit de l’abolition de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques.
La décision de la CRE heurte de plein fouet le principe démocratique fondamental de la représentation effective des électeurs, est-il d’avis. «C’est un peu prématuré… mais il y a des gens qui pensent contester cette décision devant les tribunaux », lâche-t-il à l’autre bout du fil.
Le vétéran de la politique montréalaise dit observer avec inquiétude une « dilution » de la représentation de la communauté anglophone à l’Assemblée nationale. «La grande majorité des anglophones se trouvent dans les circonscriptions les plus populeuses», souligne-t-il dans une entrevue téléphonique avec Le Devoir. «Je ne dis pas que c’est un complot», prend-il soin de préciser.
M. Rotrand s’explique mal pourquoi la CRE n’a pas rayé de la carte électorale une circonscription «sous-peuplée» en Abitibi-Témiscamingue ou dans le Bas-Saint-Laurent. «On vit dans l’époque d’Internet et du téléphone cellulaire. Les circonscriptions
peuvent être d’une superficie plus grande», dit-il.
Le conseiller municipal déposera une motion d’urgence au conseil d’arrondissement de CDNNDG lundi prochain afin d’enjoindre à la CRE de renoncer à abolir une circonscription sur l’île de Montréal. «Comme nous l’avons vu, le DGEQ peut infirmer ses décisions. Et il le fait », conclut-il non sans savoir que la décision rendue par la CRE jeudi est théoriquement sans appel.
Le maire de Mont-Royal, Philippe Roy, s’est aussi dit « abasourdi » par la décision de la CRE, qui fait fi, selon lui, des projets immobiliers à venir. « Il y a deux semaines, le directeur général des élections du Québec [DGEQ] a dit qu’on l’a convaincu. Là, on apprend qu’il revient sur ses pas puisqu’il y a eu de la contestation ailleurs», a-t-il déclaré, pointant Sainte-Marie–Saint-Jacques.
Après deux ans de consultations, la CRE est persuadée que le projet de regrouper les circonscriptions d’Outremont et de Mont-Royal constitue finalement «la meilleure option pour la majorité des électeurs dans le contexte actuel» même si elle présente «des inconvénients pour les communautés naturelles ».
La carte électorale — sur laquelle apparaissent deux nouvelles circonscriptions dans les régions des Laurentides et de Lanaudière, qui ont connu un boom démographique au fil des dernières années — sera en vigueur entre 2018 et 2026, à moins d’élections anticipées.
PLQ: deux circonscriptions en moins
Les députés Hélène David (Outremont) et Pierre Arcand (Mont-Royal) ont pour leur part refusé de spéculer sur les répercussions de la fusion de leurs circonscriptions actuelles sur leurs ambitions politiques personnelles. Ils ont « pris acte » jeudi de la nouvelle carte électorale. «Évidemment, c’est une déception pour moi de constater que les arguments que j’ai fait valoir devant la commission [n’ont pas été retenus] », a affirmé M. Arcand, en tournée sur la CôteNord. D’ailleurs, le ministre des Ressources naturelles avait à cette occasion mis en garde la CRE contre la « probabilité » de voir « plusieurs citoyens et groupes communautaires » exiger une « révision judiciaire » de la carte électorale en cas de fusion d’Outremont et de Mont-Royal.
Les communautés juives hassidiques d’Outremont font partie du lot. «Très fières et très unies », elles craignent d’être « divisées » par les frontières de la nouvelle carte électorale.
Le Parti libéral du Québec pâtira à compter du 1er octobre 2018 de la disparition de la circonscription de Saint-Maurice, qui est tombée dans son escarcelle en 2014. En sus, il risque de se retrouver à devoir gérer une course larvée à l’investiture dans Mont-Royal–Outremont entre Mme David et M. Arcand. «La bonne nouvelle, c’est que c’est tout du monde de grande qualité », a lancé le chef du PLQ, Philippe Couillard, selon des propos rapportés par Radio-Canada. «Prenons les étapes une par une, on va prendre conscience maintenant de la nouvelle réalité et on va s’y ajuster », a-t-il poursuivi.
Victoire à l’arraché de QS
L’élue de Québec solidaire Manon Massé a quant à elle accueilli avec grand soulagement jeudi matin la décision de la CRE de laisser intacte la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques. «C’est la victoire du monde ordinaire!» a-t-elle lancé à l’occasion d’un point de presse dans l’immeuble abritant le Comité social Centre-Sud jeudi matin.
Elle avait appris avec stupéfaction le 7 février dernier à l’Assemblée nationale que la CRE avait renoncé à son projet de fusionner Outremont et Mont-Royal, contrairement à ce qu’elle avait annoncé une première fois en mars 2015, pour plutôt privilégier le mariage forcé de Sainte-Marie– Saint-Jacques et Westmount–Saint-Louis.
En vertu de la Loi électorale, elle disposait de seulement 15 jours pour dissuader le DGEQ d’aller de l’avant. Elle a rapidement reçu le renfort de milliers de personnes, qui ont notamment enseveli sous quelque 4000 mémoires, messages électroniques et téléphoniques la CRE. «Ce cran de sécurité là a fonctionné», a reconnu Mme Massé jeudi matin, après avoir pourtant fait des pieds et des mains pour remettre à juin prochain le dépôt de la proposition définitive de délimitation des 125 circonscriptions électorales. « [Ça] aurait permis d’avoir un contexte favorable pour la population pour pouvoir s’exprimer au lieu d’être coincée et de le faire sous le rush, avec le stress, la pression, etc.», a-t-elle insisté, entourée de 40 sympathisants ravis de la tournure des événements.
Parmi eux, des représentants du Groupe communautaire L’Itinéraire. «Avec sa population diversifiée, composée de nombreuses personnes à faible revenu, de personnes itinérantes, d’une importante communauté LGBT, sans oublier un grand nombre d’organisations communautaires, la décision de ne pas modifier la carte électorale est la bonne », a fait valoir le directeur général de L’Itinéraire, Luc Desjardins.
Par ailleurs, les membres de la CRE ont acquiescé à l’idée de rebaptiser la circonscription Crémazie en l’honneur du joueur étoile du Tricolore Maurice Richard. Il s’agit de la première fois que «le souvenir d’un sportif sera rappelé dans le nom d’une circonscription au Québec». La classe politique s’en est réjouie.