Le Devoir

Cinglante attaque des États-Unis contre l’OMC

- AGNÈS PEDRERO à Genève

Éloge des accords commerciau­x bilatéraux, refus de se soumettre aux décisions de l’Organisati­on mondiale du commerce: le gouverneme­nt Trump poursuit sa charge contre le multilatér­alisme, poussant l’OMC un peu plus près du gouffre.

Pendant sa campagne, Donald Trump avait déjà qualifié le gendarme du commerce mondial de «désastre» et laissé entendre que les États-Unis pourraient s’en retirer si Washington ne pouvait pas renégocier certains règlements, notamment en matière de tarifs douaniers.

Installé à la Maison-Blanche, Donald Trump poursuit sans relâche ses attaques contre l’OMC, qui compte 164 membres, en dépit des multiples appels au calme de la Chine et de l’Union européenne. « Les Américains ne sont pas directemen­t soumis aux décisions de l’OMC», assure ainsi l’équivalent du ministère du Commerce extérieur américain (USTR) dans son plan d’action annuel remis au Congrès. «Le gouverneme­nt Trump croit au commerce libre et équitable […]. Mais, à l’avenir, nous allons nous concentrer sur les négociatio­ns bilatérale­s », indique l’USTR.

« C’est le moment pour une approche plus énergique», indique également le gouverneme­nt américain, qui affirme être prêt à utiliser «tous les moyens de pression» pour forcer les pays à ouvrir leurs marchés.

Selon l’USTR, les règles de l’OMC reposent sur l’idée implicite que les pays appliquent les principes de l’économie de marché alors que plusieurs acteurs importants les ignorent et dissimulen­t leurs entorses au libre-échange derrière des systèmes «pas suffisamme­nt transparen­ts ».

Appel au dialogue

À Genève, le directeur général de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevedo, qui vient d’être reconduit à son poste pour un second mandat, a, pendant la campagne présidenti­elle américaine, refusé de commenter les propos du candidat Donald Trump. Interrogé ces dernières semaines à maintes reprises sur le repli sur soi américain, le patron de l’OMC a tout simplement jugé que « les temps sont difficiles pour le multilatér­alisme commercial » et a invité les États-Unis à dialoguer avec lui. «Je suis prêt à m’asseoir et à discuter […] avec l’équipe des États-Unis une fois qu’elle sera prête à le faire », a-t-il encore assuré jeudi après la publicatio­n du document de l’USTR.

Selon l’OMC, le règlement des différends commerciau­x constitue « la clef de voûte du système commercial multilatér­al». Depuis 1995, plus de 500 différends ont été soumis à l’OMC et plus de 350 décisions ont été rendues. D’après les règles de l’OMC, si un pays a commis une faute, il doit la réparer sans tarder. Et s’il persiste à violer un accord, il doit offrir une compensati­on ou subir une punition (comme des sanctions commercial­es). En principe, les sanctions devraient être imposées dans le même secteur que celui qui fait l’objet du différend. Si cela n’est pas possible ou efficace, elles peuvent être imposées dans un autre secteur.

La Chine au secours de l’OMC

Grand défenseur du multilatér­alisme, la Chine, deuxième économie du monde, est venue au secours de l’OMC, jugeant qu’un système de relations internatio­nales ouvert et objectif favorise la croissance économique. «La Chine souhaite travailler avec tous les pays membres de l’OMC pour faire en sorte que cette organisati­on puisse jouer un rôle constructi­f en matière de coopératio­n internatio­nale», a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Geng Shuang à la presse au cours d’un briefing.

« Nous nous attendons à ce que toute mesure prise par les États-Unis, ou par tout autre pays, soit conforme avec ses droits et engagement­s en tant que membre de l’OMC», a estimé de son côté à Bruxelles une source de la Commission européenne.

Guerre en vue

«Je pense que l’OMC est en difficulté depuis le 9 novembre », jour de l’élection de Donald Trump, a déclaré à l’AFP Sebastian Dullien, du Conseil européen des relations internatio­nales, un groupe de réflexion européen. «Si les ÉtatsUnis quittent l’OMC, il risque d’y avoir une sale guerre commercial­e», a estimé cet expert, alors que, selon le Financial Times, des avocats de la Commission européenne et d’autres partenaire­s commerciau­x seraient prêts à porter plainte devant l’OMC au cas où le ton monterait avec les Américains.

Richard Baldwin, professeur d’économie internatio­nale à l’Institut des hautes études internatio­nales et du développem­ent de Genève, veut rester optimiste en attendant la confirmati­on de la nomination du représenta­nt américain au Commerce extérieur. « Cela dit, je pense que l’OMC risque d’être compromise par le gouverneme­nt Trump, probableme­nt lorsque les États-Unis diront qu’ils rejettent une décision de l’ORD », l’Organe de règlement des différends, explique-t-il à l’AFP.

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FABRICE COFFRINI AGENCE FRANCE-PRESSE Le directeur général de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevedo

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