Le Devoir

REEE : le cochon de porcelaine sur la flaque de pétrole

- DIEGO CREIMER Fondation David Suzuki

Quand je contemple mes enfants Gaspard et Félix après le souper, la famille encore à table échangeant souvent sur le déroulemen­t de la journée à l’école et au travail, je me plais en silence à imaginer ce qu’il adviendra d’eux une fois adultes, les métiers qu’ils choisiront, les valeurs qui les animeront et les batailles qu’ils mèneront. C’est probableme­nt l’un des passe-temps universels des parents fiers et rêveurs.

Peu de temps après la naissance de chacun de ces enfants, un conseiller en placements épargne-études est venu nous vendre un de ces fameux plans qui permettent de mettre de l’argent de côté, dans un petit abri fiscal, pour payer plus tard les frais et dépenses liés aux études une fois les enfants admis dans un établissem­ent reconnu par le ministère de l’Éducation. Beaucoup de parents au Québec et au Canada ont probableme­nt reçu une visite semblable et plusieurs ont souscrit à un régime enregistré d’épargne-études (REEE) collectif.

Nous avons ainsi commencé à remplir cette grande tirelire qui servira à éduquer nos enfants et à laquelle le gouverneme­nt contribue aussi généreusem­ent.

Quelle surprise n’avons-nous pas eue cette semaine en recevant par la poste les états financiers annuels du Canadian Scholarshi­p Trust (la Fondation fiduciaire canadienne de bourses d’études, en français): l’argent qui servira à payer les études de nos enfants, bonifié par des avantages fiscaux, est en partie investi dans les énergies fossiles, qui menacent directemen­t l’avenir de notre planète et donc celui de nos enfants.

S’engager sur la voie du développem­ent durable

Dans l’inventaire du portefeuil­le, outre les nombreuses obligation­s fédérales, provincial­es et municipale­s, on retrouve des obligation­s émises par des compagnies de production et de transport de pétrole des sables bitumineux. On y repère aussi des placements dans Milit-Air inc., qui fournit des installati­ons pour l’entraîneme­nt de pilotes d’avion de guerre, ainsi que des actions d’Enerflex, d’Imperial Oil Limited et de Suncor Energy. Du côté d’Universita­s, un autre grand joueur canadien des REEE, on retrouve dans ses derniers états financiers en ligne un éventail similaire de compagnies pétrolière­s et pipelinièr­es: Enbridge, Suncor, Canadian Natural Resources Inc., Cenovus Energy, Inter Pipeline et d’autres.

En lisant ces états financiers, une vérité nous saute aux yeux: nous épargnons pour l’avenir et l’éducation de nos enfants en investissa­nt d’une manière imprudente qui compromet ce même avenir. Cette tirelire collective qui s’étend d’un bout à l’autre du pays, et dans laquelle des millions de familles canadienne­s mettent mois après mois un peu d’argent pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants, est en fait un cochon de porcelaine rose, avec une fente sur le dos, et ses quatre pattes dans une flaque de pétrole visqueux.

Nous devons l’aider à bouger, comme l’Université Laval vient de le faire cette semaine en sortant tout son argent des énergies fossiles pour une période de cinq ans. En s’engageant sur la voie du développem­ent durable et par conséquent de la justice climatique, cette université s’est élevée au sommet du palmarès des établissem­ents où je serais fier de voir mes enfants étudier. On ne peut qu’espérer que d’autres université­s soucieuses d’un avenir plus vert et plus juste lui emboîteron­t le pas.

Force est de constater que certains intérêts politiques et économique­s associés aux énergies fossiles travaillen­t à saper la science du climat et participen­t au courant post-vérité, en contradict­ion profonde avec le travail de plusieurs scientifiq­ues et des université­s. De nombreux travaux de recherche sur les changement­s climatique­s, mais aussi sur les énergies renouvelab­les, se font dans ces université­s, ce qui ajoute à l’ironie et à la contradict­ion profonde du choix d’investisse­ments de ces fonds.

Lorsque je regarde mes fils manger, que je m’investis dans leur éducation, je rêve comme société que nous nous engagions de manière cohérente et ferme dans l’inévitable transition vers les énergies propres et renouvelab­les et dans la décarbonis­ation de notre économie de la racine à la canopée, de l’enfance à l’âge adulte, des REEE aux université­s et jusqu’à nos fonds de retraite.

Parce que nos enfants méritent un avenir meilleur. Et parce qu’ils méritent un avenir, tout court.

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