Le Devoir

L’aller-retour d’un crucifix

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Sur la foi d’une seule plainte, la direction du CHU de Québec a ordonné qu’on retire un crucifix du hall de l’Hôpital du Saint-Sacrement. Trois semaines plus tard, après qu’une pétition eut recueilli plus de 5000 signatures, elle se ravisait et le symbole religieux retrouvait la place qu’il occupait depuis 90 ans. Cet incident montre jusqu’à quel point, quand il est question de la présence de signes religieux dans les édifices publics, les interpréta­tions des autorités peuvent différer et le jugement, manquer.

Grâce au financemen­t du gouverneme­nt du Québec et de l’archevêché, l’Hôpital du Saint-Sacrement fut érigé dans les années 1920 et sa charge, confiée aux Soeurs de la Charité de Québec. C’est «un joli petit hôpital», a dit Patrice Roy sur les ondes de Radio-Canada, quelque peu provincial, doit-on comprendre, mais c’est aussi un bâtiment patrimonia­l où la foi catholique s’affiche ici et là, forcément.

Le ministre Gaétan Barrette a d’abord affirmé que c’était «une décision locale» pour ensuite se dédire après que le ministre responsabl­e de la région de la Capitale-Nationale, François Blais, eut dénoncé le retrait. Même les ministres ne s’entendaien­t pas sur la marche à suivre.

Pourtant, le projet de loi 62 sur la neutralité religieuse, que le gouverneme­nt Couillard fait traîner depuis deux ans, contient un article qui soustrait le «patrimoine culturel religieux» de l’applicatio­n de la loi. Ni la commission Bouchard-Taylor ni même la charte des valeurs péquistes ne préconisai­ent que l’on retire les signes religieux d’hôpitaux dont le caractère patrimonia­l est évident. Ce crucifix n’a rien à voir avec quelque forme de prosélytis­me que ce soit.

Il en est autrement dans les écoles. À la suite de la déconfessi­onnalisati­on des commission­s scolaires en 1998, les crucifix furent retirés des écoles publiques, avec la bénédictio­n de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui a pris en compte la « vulnérabil­ité » des élèves.

Or dans nombre de collèges privés subvention­nés — et nous ne parlons pas des écoles à vocation religieuse —, les crucifix et autres symboles religieux catholique­s sont encore bien en vue.

Au Salon bleu, le crucifix, installé par Duplessis dans les années 1930, trône encore au-dessus de la tête du président de l’Assemblée nationale comme si l’esprit du Christ devait inspirer les législateu­rs. La commission Bouchard-Taylor recommanda­it justement qu’on le déplace, mais les élus s’y refusent faroucheme­nt.

Au Québec, la confusion règne toujours en matière de neutralité religieuse de l’État ou de laïcité. Malheureus­ement, le projet de loi 62 fait peu pour la dissiper.

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ROBERT DUTRISAC

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