Le Devoir

En cavale avec des jeunes du centre jeunesse devenus adultes

Le cinéaste Mathieu Arsenault suit le destin de Simon, Scoobey et P.O.

- CAROLINE MONTPETIT

Ils sortent du centre jeunesse avec une enfance abîmée dans leurs bagages, comme un jouet brisé dont ils doivent euxmêmes trouver le mode d’emploi. Scoobey, Simon et P.O. ont tous trois passé une partie de leur enfance, pour des raisons diverses, sous la protection de la jeunesse.

Le jeune cinéaste Mathieu Arsenault les a suivis à leur sortie du centre jeunesse, pour constater que tous n’ont pas le même destin.

En fait, l’aventure de Mathieu Arsenault commence beaucoup plus tôt, il y a dix ans, lorsqu’il se propose bénévoleme­nt comme «Grand Ami» de Simon, qui a six ans. Le programme des Grands Amis de la Fondation du Dr Julien, qui fournit des mentors aux jeunes en difficulté, a été créé par Anaïs Barbeau-Lavalette. Simon vit alors avec sa mère, qui a de graves problèmes de consommati­on de drogue et qui décédera quelques années plus tard.

À six ans, le petit Simon s’enfuit déjà par la fenêtre et a mis le feu à une voiture avec des amis.

Simon, raconte Mathieu Arsenault en entrevue, est un enfant brillant et éveillé. Il est capable d’obtenir de bons résultats scolaires au point d’obtenir une bourse pour faire ses études secondaire­s au Collège de Montréal.

Les parents de Mathieu Arsenault l’accueillen­t chez lui un certain temps. Mais le comporteme­nt de Simon, qui vole des appareils électroniq­ues à l’école, et dans les poches duquel ils trouvent une lettre de suicide, le dirige vers le centre jeunesse. Simon y participer­a à une émeute et s’en enfuira plusieurs fois.

La caméra-vérité de Mathieu Arsenault l’a suivi dans ses derniers retranchem­ents. On voit d’ailleurs dans le long métrage documentai­re En cavale des scènes crues de vérité: des jeunes qui se partagent de l’argent dont on devine qu’il vient des passes d’une prostituée.

Trois voies possibles

En entrevue, Mathieu Arsenault confie avoir dénoncé Simon à la police après avoir assisté à cette scène, où il exploite une jeune fille vulnérable. Il a d’ailleurs montré le film à Simon, qui est d’accord pour qu’il soit présenté publiqueme­nt.

Le film finit alors que Simon, majeur, n’a plus d’endroit où habiter. Il dort dans la voiture d’une amie escorte qui vient de le mettre à la porte. Adulte et déboussolé, il dit qu’il ne lui reste plus donc que trois voies possibles: la prison, le cimetière, ou la réussite.

En entrevue, Mathieu Arsenault dit que, selon ce qu’il a observé pour faire ce film, sur trois jeunes sortant du centre jeunesse, il y en a typiquemen­t un qui a des difficulté­s, un qui vivote et un qui s’en sort.

Cet éventail correspond à ce qu’on voit dans le film.

Ainsi Scoobey, qui sort également du centre jeunesse auquel il a été confié par sa famille adoptive, finit-il par s’organiser

Au moins, ici, on a un système. Au Brésil, ces jeunes-là seraient dans des favellas avec des AK47. Le cinéaste Mathieu Arsenault

une vie après de nombreuses rechutes, qui l’ont emmené en prison à répétition.

Scoobey s’initie à la boxe à travers l’organisme Ali et les princes de la rue, qui permet aux jeunes sortant des centres jeunesse de canaliser leur agressivit­é à travers le sport.

Très doué, il y rencontre un ancien ami qui lui trouve du travail. Scoobey se fait aussi une nouvelle copine, qui l’encourage dans ses combats.

Lors d’un combat dans les Maritimes, on voit Scoobey, qui est noir, subir les insultes racistes des partisans de son adversaire. À la fin du film, Scoobey a perdu le combat, sa blonde l’a quitté et il lutte contre la dépression et la tentation du suicide.

Affronter ses limites

P.O., quant à lui, a été placé au centre jeunesse après un épisode d’hallucinat­ions lié à une trop grande consommati­on de drogue, doublé d’un épisode de violence.

Après un séjour difficile au centre jeunesse, où on l’emmène entre autres vendre des ballons, déguisé en clown, dans un centre d’achats, P.O. se trouve un appartemen­t, fait du sport et s’inscrit à un cours de soudure.

«C’est mon héros», dit Mathieu Arsenault de P.O.

Après avoir tenté de s’inscrire en techniques policières, entre autres pour plaire à son père, P.O. fait un choix plus réaliste en se dirigeant vers la soudure.

La relation entre Mathieu Arsenault et Simon est forcément au centre de ce film, à travers lequel on en explore les limites.

Bien que Mathieu Arsenault et sa famille se soient beaucoup impliqués auprès de Simon, ils ont aussi rapidement affronté leur impuissanc­e.

Dans le film, on entend d’ailleurs Mathieu dire qu’il est parfois tenté d’accueillir Simon chez lui. Mais il craint qu’en le faisant il mette aussi en péril le lien qui l’unit à Simon, l’un des seuls que le jeune ait gardés à travers les années. EN CAVALE Présenté dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois ce vendredi de 17 h 30 à 19 h au pavillon Judith-Jasmin de l’UQAM en présence du réalisateu­r Mathieu Arsenault.

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Selon ce que Mathieu Arsenault a observé pour faire son film, sur trois jeunes sortant du centre jeunesse, il y en a typiquemen­t un qui a des difficulté­s, un qui vivote et un qui s’en sort.

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