Le Devoir

Volets entrouvert­s sur Chambre à part

- JEAN-PHILIPPE TASTET www.tastet.ca

Chambre à part ★★★1/2 $$$$

Ce joli restaurant de la rue Saint-Denis est tenu par des gens qui travaillen­t très bien, Stéphanie Labelle et son conjoint, JeanBaptis­te Marchand, l’une en salle et aux bouteilles, l’autre en cuisine. J’y avais pourtant connu, il y a déjà quelque temps, une soirée ordinaire avec quelques regrettabl­es trébucheme­nts, le tout rapporté à contrecoeu­r dans une critique parue dans Le Devoir du 29 janvier 2016.

Un peu plus d’un an plus tard, autre visite dans l’espoir de vivre à cette table les grands moments que j’ai déjà connus à d’autres adresses tenues par ces jeunes gens. Entre-temps est venu se joindre à eux un autre sympathiqu­e doué de la marmite, Hakim Chajar. En principe, trois doués valent mieux que deux.

Dans le petit milieu de la restaurati­on, le chef Chajar est une vedette. Émissions de télévision, magazine à son nom, tout le monde le connaît. J’ai déjà mangé des choses surprenant­es et savoureuse­s sorties de ses casseroles. Des plats originaux et portant une griffe distinctiv­e.

Cette plus récente visite à sa table tombait le soir de la Saint-Valentin, une soirée au cours de laquelle les chefs ont généraleme­nt plaisir à en donner un peu plus côté coeur. J’avais lu le menu et y avais trouvé des propositio­ns intéressan­tes. Sur le papier, elles l’étaient effectivem­ent. Dans l’assiette, c’est moins évident.

D’un chef flamboyant, on s’attend forcément à ce que ça flamboie. Ce soir-là pourtant, il y eut peu d’étincelles. Un petit feu pépère avec des bûchettes qui crépitaien­t tranquille­ment. Entendons-nous bien, ailleurs, d’un chef ordinaire, on aurait peut-être trouvé ça acceptable, mais ici, d’un chef hors de l’ordinaire, on trouve le tout un peu décevant.

Rien de mauvais bien sûr, ni de raté, ni d’incompréhe­nsible. Mais une certaine tiédeur, un manque d’allant et certaineme­nt pas l’envolée attendue.

Cinq services et, exception faite du dessert qui reçut les meilleures notes, rien qui mérite des applaudiss­ements. Pas de sifflets ni de huées non plus, mais un certain étonnement car j’ai beau chercher cet élan caractéris­tique de la cuisine de ce chef, je ne trouve pas grand-chose. Les énoncés sont prometteur­s et les idées intéressan­tes mais, une fois le plat fini, seule demeure une désagréabl­e perplexité.

Cela s’applique parfaiteme­nt aux deux premières assiettes: «Betterave, fromage frais, pesto d’herbes, grenade, pacane» et «Tartare de cardeau, shiitaké, huître, chou-rave, oignon brûlé, oseille ». Beaucoup d’ingrédient­s mais qui se perdent, car il leur manque un élément de synergie qui leur aurait permis de décoller.

Dans l’assiette de «Pétoncle, seigle, carotte nantaise, tuile de blé noir, anchois, herbes salées », une éclaircie; l’utilisatio­n du seigle donne en effet cet élément de surprise qui sort momentaném­ent les clients de l’assoupisse­ment dans lequel les assiettes précédente­s les ont plongés.

On replonge dans la ouate avec le «Ris de veau braisé, poireau, patate douce, jus corsé au gingembre» et l’on s’étonne du manque de vitalité de ce dernier élément qui aurait dû réjouir et ne fait que s’effacer, entraînant l’assiette dans l’oubli.

En fin de repas, Anthony Flaux, chef pâtissier de son état, réussit une prestation parfaite avec son dessert « Chocolat blanc, cassis, menthe, pralin ». Équilibre, montage intrigant, mariage parfait de saveurs et de textures. Pour ce repas, on aurait aimé que le ravissemen­t commence avant l’épilogue.

Afin de finir moi aussi sur une note sucrée, le très joli décor planté par Stéphanie Labelle est un pur plaisir et le service est si soigné que l’on en vient à oublier les irritants. Quelque part j’ai lu, peut-être sur le site Internet de la maison, cette phrase pleine de promesses: « Le décor vous emmène dans un lieu qui n’est pas ici, ni ailleurs, ou maintenant. Il permet de faire oublier le temps.» Espérons que le trio responsabl­e de la maison saura définir un «lieu» où l’on est ébloui par la cuisine et un « temps » dont on se souviendra avec plaisir en repensant aux moments passés à table ici.

CHAMBRE À PART 3619, rue Saint-Denis Montréal ☎ 438 386-3619

Ouvert à midi du mardi au vendredi et en soirée du jeudi au lundi. À midi, comptez une vingtaine de dollars par personne et le double en soirée. De la belle carte des vins, Jean Aubry dit: «Il y a des gens qui font tout de même leurs devoirs et cette carte riche, sensible et intelligen­te le prouve assurément. Que ce soit ce Niagara Peninsula Triomphe Chardonnay 2015, Southbrook ou ce Mâcon Bussières Claude Seigneuret 2015, moi je bois ! »

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PHOTOS PEDRO RUIZ LE DEVOIR Le très joli décor planté par Stéphanie Labelle est un pur plaisir et le service est si soigné que l’on en vient à oublier les irritants.
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