Le Devoir

Les divulgatio­ns volontaire­s au fisc canadien n’ont cessé d’augmenter

En 2014-2015, plus de 19 000 demandes ont été envoyées à l’Agence du revenu du Canada, selon les données officielle­s

- FRANÇOIS DESJARDINS

Alors que les pays ont resserré leurs échanges d’informatio­ns fiscales depuis quelques années, 19 000 personnes et entreprise­s ont voulu se livrer à une divulgatio­n volontaire auprès de l’Agence du revenu du Canada en 2014-2015 seulement, un nombre qui augmente sans cesse depuis la création du programme dans les années 1980.

Selon le plus récent rapport annuel remis au Parlement, les dossiers de ces 19 134 contribuab­les, qui ont décidé de montrer patte blanche plutôt que de risquer une poursuite, représenta­ient des revenus non déclarés de 1,3 milliard au Canada et à l’étranger. Le programme s’adresse notamment à ceux qui ont « omis de déclarer une partie du revenu imposable».

«Le total des revenus non déclarés des divulgatio­ns à l’étranger [seulement] s’élevait à 780 millions de dollars, une augmentati­on de 157% par rapport à 2013‐2014», peut-on lire dans le rapport. L’ARC y mentionne notamment les « efforts internatio­naux soutenus pour échanger les données fiscales» comme un facteur important dans la hausse des demandes.

L’intégrité du régime fiscal est revenue sous les projecteur­s jeudi avec un nouveau reportage de l’émission Enquête éclaboussa­nt le cabinet comptable KPMG. Celui-ci aurait créé en 1999 une mécanique fiscale impliquant l’île de Man et vendu ce stratagème à 16 reprises, notamment

au Québec. En raison de la confidenti­alité des dossiers, l’identité des ultimes bénéficiai­res n’est pas connue du fisc. ICI Radio-Canada affirme que le fisc est tombé sur le stratagème en 2012. Dans le reportage, la firme KPMG affirme qu’elle a toujours respecté la loi canadienne.

Efforts accrus

Les gouverneme­nts ont toujours eu l’oeil sur l’évasion fiscale et les planificat­ions dites «agressives», mais ils en ont fait une priorité plus pressante dans la foulée de la crise financière de 20082009, lorsqu’ils ont dû dépenser des milliards pour stimuler l’économie. Ottawa et Québec ont alors intensifié leurs efforts pour mettre la main sur les sommes qui s’échappaien­t du pays ou qui aboutissai­ent dans l’économie parallèle, au noir.

«Par rapport à ce cas précis [KPMG], je ne ferai pas de commentair­es pour l’instant», a dit vendredi le premier ministre Justin Trudeau, de passage à Vancouver. « Personne ne reçoit de traitement de faveur», a-t-il ajouté, en précisant que « nous prenons très au sérieux la responsabi­lité de tout le monde de payer sa juste part d’impôts».

En entrevue à la radio d’ICI Radio-Canada, la ministre du Revenu, Diane Lebouthill­ier, a dit qu’«on est en cour actuelleme­nt » et que «le dossier de KPMG n’est pas réglé». Environ 80 causes portant sur de la fiscalité «agressive» sont présenteme­nt devant les tribunaux canadiens, a estimé la ministre. Tant Mme Lebouthill­ier que M. Trudeau ont insisté sur les 444 millions en cinq ans que le budget Morneau de mars 2016 compte injecter dans la lutte contre l’évasion fiscale, notamment par l’embauche de vérificate­urs et l’ajout de ressources.

Historique

Basée aux Pays-Bas, KPMG fait partie du quatuor des grands cabinets comptables de la planète, avec Ernst & Young, Deloitte et Pricewater­houseCoope­rs, toutes des firmes-conseils dont les origines remontent au commerce du XIXe siècle.

Au début de 2016, l’équipe d’Enquête a fait état d’ententes secrètes entre l’ARC et des clients très fortunés de KPMG permettant à ceux-ci de régler des impôts sur leurs placements à l’étranger sans toutefois devoir verser une pénalité. ICI Radio-Canada s’appuyait sur une lettre du mois de mars 2015. L’affaire a embrasé une partie de la classe politique, qui a déploré l’apparence d’un régime à deux vitesses au sein duquel les mieux nantis sont soumis à un ensemble de règles différente­s.

Dans le budget Morneau du 22 mars 2016, le gouverneme­nt Trudeau a prévu que son investisse­ment de 444 millions sur cinq ans pour accroître la lutte contre l’évasion fiscale générerait 2,6 millions en revenus supplément­aires sur la même période.

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