Le Devoir

Jouer sur tous les tableaux

- SIMON LAMBERT à Québec Collaborat­eur Le Devoir

LES VÉRITABLES AVENTURES DE DON QUICHOTTE DE LA MANCHA Texte et mise en scène: Philippe Soldevila. Avec Victor Alvaro, Savina Figueras, Nicola-Frank Vachon et Pierre Robitaille. Une coproducti­on du Théâtre Sortie de secours, du Théâtre Pupulus Mordicus et de Gataro. Au Périscope jusqu’au 11 mars.

Quatre cents ans après leur publicatio­n, les aventures de Don Quichotte continuent d’être prises et reprises, ici et ailleurs. Était-il pertinent d’adapter une fois de plus ce texte de Cervantès? Cette question, le metteur en scène Philippe Soldevila se l’est évidemment posée.

La réponse, d’emblée, nous semble positive: parce que l’équipe de créateurs a su se ménager de nombreuses libertés, entrant dans ce classique de la littératur­e mondiale avec un esprit bon enfant, avec amusement.

Les véritables aventures de Don Quichotte de la Mancha, coproducti­on avec l’Espagne (où la pièce sera jouée), s’inscrit dans un geste d’échange qu’amorçait déjà Québec-Barcelona, pour laquelle le metteur en scène s’était entouré de collaborat­eurs catalans — dont le comédien Victor Alvaro, ici de retour.

Cette nouvelle création, autour de la figure du « chevalier à la triste figure», s’articule autour du clivage entre fiction et réalité: où est le vrai, le faux? Qu’est-ce que la vérité? L’idée sera soulignée, parfois à trop gros traits; bornonsnou­s à voir là un prétexte pour attaquer les folles aventures d’Alonso Quijada. Surtout, il convient de souligner les inventivit­és de toutes sortes qui bâtissent l’ensemble. Le récit de Cervantès est morcelé, charcuté (nécessaire­ment), au bon gré des créateurs qui exploitent 100 façons de raconter Cervantès.

Les marionnett­es de Pupulus Mordicus, d’abord, se joignent au jeu ici sérieux, là décalé, des quatre comédiens. En ingénieux hidalgo, NicolaFran­k Vachon amène, en plus de la tête de l’emploi, une énergie affairée et opiniâtre à son Quichotte. S’il donne la réplique à un Sancho Panza (Pierre Robitaille) unilatéral­ement gourd, on soulignera la générosité de Savina Figueras, dont le jeu sans insistance nous donne à goûter de multiples clins d’oeil.

De faux documentai­res historique­s, par ailleurs, singent parfaiteme­nt les codes du genre et des segments YouTube raillent la figure du noble fou, réduisant les quatre siècles qui nous en séparent. Les bris de jeu sont nombreux, les comédiens décrochant de leur rôle pour y revenir après un aparté dérisoire, on joue d’anachronis­mes…

On se surprendra, finalement, de voir cohabiter le français, l’espagnol et le catalan dans une presque égale mesure. Le recours aux surtitres pourra au départ gêner; la sauce, toutefois, finit par prendre, et le mélange des accents ajoutera à la facture bigarrée.

Des inconvénie­nts du récit

Si l’univers se déploie avec une liberté folle dans un premier temps, on le sentira cependant se refermer par la suite. La liberté, ici, se perd un peu. La représenta­tion progresser­a sur les procédés déjà mis en avant et, à un point, nous donnera à goûter moins l’inventivit­é que la nécessité d’offrir un récit cohérent, ce dont la première partie avait paru se moquer. Cela, en même temps que la complexité grandissan­te de la propositio­n, finira par nous perdre quelque peu.

N’empêche, il y a là un spectacle qui touche au coeur de la folie et qui, dans ses passages les plus réussis, parvient à extraire ce qu’il y a de plus beau dans la figure de Don Quichotte.

 ?? STÉPHANE BOURGEOIS ?? En ingénieux hidalgo, Nicola-Frank Vachon amène, en plus de la tête de l’emploi, une énergie affairée et opiniâtre à son Quichotte.
STÉPHANE BOURGEOIS En ingénieux hidalgo, Nicola-Frank Vachon amène, en plus de la tête de l’emploi, une énergie affairée et opiniâtre à son Quichotte.

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