Le Devoir

Les 400 coups en carton-pâte

Ma vie de Courgette plonge au coeur d’une enfance blessée

- ANDRÉ LAVOIE

MA VIE DE COURGETTE

Film d’animation de Claude Barras. Avec les voix de Gaspard Schlatter, Sixtine Murat, Paulin Jaccoud, Michel Vuillermoz. France-Suisse, 2016, 66 minutes.

Qui ne connaît pas un enfant se croyant seul et unique responsabl­e du divorce de ses parents? Imaginez maintenant un gamin d’allure frêle provoquant la mort de sa mère (alcoolique et neurasthén­ique) par un simple réflexe de protection. Icare (Gaspard Schlatter) se retrouve au coeur de ce drame décliné selon la technique d’animation stop motion, suite rapide d’incidents et de surprises finement tissés par le cinéaste suisse Claude Barras dans Ma vie de Courgette, adaptation du livre Autobiogra­phie d’une courgette, de Gilles Paris.

Courgette: sa mère le surnommait ainsi, même si le récit nous prive d’explicatio­ns. Être interpellé ainsi représente un lien avec le passé, celui de sa famille dysfonctio­nnelle (l’absence du père est représenté­e par un cerf-volant, belle métaphore de la fuite), maintenant rompu dans un foyer où d’autres jeunes esseulés ont trouvé refuge. Raymond (Michel Vuillermoz, dont la voix aurait rendu jaloux Philippe Noiret), un policier au grand coeur, l’a conduit dans ce lieu sans tigresse ni tyran, sauf peut-être le petit Simon (Paulin Jaccoud), qui baptise le nouveau venu du surnom de Patate.

Cette petite faune aux origines européenne­s avec des accents méditerran­éens porte en elle une foule de souffrance­s dont la gravité apparaîtra incongrue aux tenants d’un cinéma jeunesse aseptisé. Suicide, toxicomani­e, violence familiale, meurtres, aucun sujet n’est tabou, et ces sujets sont toujours sobrement évoqués, sans illustrati­ons macabres, avec une franchise dépourvue d’infantilis­me. Tout au plus Claude Barras se permet-il quelques insolences visuelles, ridiculisa­nt l’hygiène corporelle d’une des rares mégères à traverser l’écran ou plaçant un livre entre les mains de Courgette : La métamorpho­se, de Franz Kafka, rien de moins.

L’approche frontale du scénario relativeme­nt aux blessures de l’enfance causées par l’incurie des adultes, ainsi qu’un discours sur la sexualité qui ne fera frémir que les bigots, on les doit en partie à l’écriture de Céline Sciamma, elle qui ne craint jamais de plonger en eaux troubles. Dans ses films, comme cinéaste (Tomboy, Naissance des pieuvres) ou scénariste (Quand on a 17 ans, d’André Téchiné), la sexualité adolescent­e n’est jamais désincarné­e, révélant tout autant son potentiel de plénitude que ses torrents d’angoisses.

Claude Barras ne pouvait rêver de meilleure partition pour son premier long métrage d’animation, insufflant une humanité profonde à des marionnett­es aux yeux exorbités, aux mouvements parfois brusques, tous pourvus d’un supplément d’âme qui n’a rien à envier à celui de jeunes acteurs en chair et en os. Car n’est pas François Truffaut ou André Melançon qui veut.

Ce merveilleu­x travail d’artisan étalé sur près de trois ans vise directemen­t la sensibilit­é et l’intelligen­ce des jeunes spectateur­s, mais les adultes ne sont jamais en reste. Cette fantaisie en carton-pâte vaut son pesant d’or — Barras a raté de peu l’Oscar du meilleur film d’animation —, vitaminée à souhait, audacieuse sans arrogance. Elle mérite la palme du coeur.

 ?? GEBEKA FILMS ?? Ma vie de Courgette est un merveilleu­x travail d’artisan.
GEBEKA FILMS Ma vie de Courgette est un merveilleu­x travail d’artisan.

Newspapers in French

Newspapers from Canada