Les 400 coups en carton-pâte
Ma vie de Courgette plonge au coeur d’une enfance blessée
MA VIE DE COURGETTE
Film d’animation de Claude Barras. Avec les voix de Gaspard Schlatter, Sixtine Murat, Paulin Jaccoud, Michel Vuillermoz. France-Suisse, 2016, 66 minutes.
Qui ne connaît pas un enfant se croyant seul et unique responsable du divorce de ses parents? Imaginez maintenant un gamin d’allure frêle provoquant la mort de sa mère (alcoolique et neurasthénique) par un simple réflexe de protection. Icare (Gaspard Schlatter) se retrouve au coeur de ce drame décliné selon la technique d’animation stop motion, suite rapide d’incidents et de surprises finement tissés par le cinéaste suisse Claude Barras dans Ma vie de Courgette, adaptation du livre Autobiographie d’une courgette, de Gilles Paris.
Courgette: sa mère le surnommait ainsi, même si le récit nous prive d’explications. Être interpellé ainsi représente un lien avec le passé, celui de sa famille dysfonctionnelle (l’absence du père est représentée par un cerf-volant, belle métaphore de la fuite), maintenant rompu dans un foyer où d’autres jeunes esseulés ont trouvé refuge. Raymond (Michel Vuillermoz, dont la voix aurait rendu jaloux Philippe Noiret), un policier au grand coeur, l’a conduit dans ce lieu sans tigresse ni tyran, sauf peut-être le petit Simon (Paulin Jaccoud), qui baptise le nouveau venu du surnom de Patate.
Cette petite faune aux origines européennes avec des accents méditerranéens porte en elle une foule de souffrances dont la gravité apparaîtra incongrue aux tenants d’un cinéma jeunesse aseptisé. Suicide, toxicomanie, violence familiale, meurtres, aucun sujet n’est tabou, et ces sujets sont toujours sobrement évoqués, sans illustrations macabres, avec une franchise dépourvue d’infantilisme. Tout au plus Claude Barras se permet-il quelques insolences visuelles, ridiculisant l’hygiène corporelle d’une des rares mégères à traverser l’écran ou plaçant un livre entre les mains de Courgette : La métamorphose, de Franz Kafka, rien de moins.
L’approche frontale du scénario relativement aux blessures de l’enfance causées par l’incurie des adultes, ainsi qu’un discours sur la sexualité qui ne fera frémir que les bigots, on les doit en partie à l’écriture de Céline Sciamma, elle qui ne craint jamais de plonger en eaux troubles. Dans ses films, comme cinéaste (Tomboy, Naissance des pieuvres) ou scénariste (Quand on a 17 ans, d’André Téchiné), la sexualité adolescente n’est jamais désincarnée, révélant tout autant son potentiel de plénitude que ses torrents d’angoisses.
Claude Barras ne pouvait rêver de meilleure partition pour son premier long métrage d’animation, insufflant une humanité profonde à des marionnettes aux yeux exorbités, aux mouvements parfois brusques, tous pourvus d’un supplément d’âme qui n’a rien à envier à celui de jeunes acteurs en chair et en os. Car n’est pas François Truffaut ou André Melançon qui veut.
Ce merveilleux travail d’artisan étalé sur près de trois ans vise directement la sensibilité et l’intelligence des jeunes spectateurs, mais les adultes ne sont jamais en reste. Cette fantaisie en carton-pâte vaut son pesant d’or — Barras a raté de peu l’Oscar du meilleur film d’animation —, vitaminée à souhait, audacieuse sans arrogance. Elle mérite la palme du coeur.