Le Devoir

Les salaires ne suivent pas nécessaire­ment

- CLAUDE LAFLEUR Collaborat­ion spéciale

«Bien que la Loi sur l’équité salariale célèbre ses 20 ans — c’est super ! — , nous constatons qu’il y a malheureus­ement encore beaucoup à faire. On observe entre autres que, lorsqu’il y a une féminisati­on des emplois, les salaires ne suivent pas.»

Voilà le constat que dresse Manon Therrien, deuxième vice-présidente du Syndicat de profession­nelles et profession­nels du gouverneme­nt du Québec (SPGQ). Ce syndicat regroupe les employés profession­nels qui oeuvrent au sein de la fonction publique québécoise, donc dans un environnem­ent propice à l’équité.

Pourtant, le SPGQ observe que c’est loin d’être le cas et, par conséquent, a entrepris une vaste étude pour documenter la situation. « Nous n’en sommes qu’au début de notre étude, prévient Mme Therrien, mais nous faisons déjà certains constats.»

Elle cite en exemple les 16collèges dont le personnel profession­nel est membre du SPGQ. En l’an 2000, la rémunérati­on des cadres de ces cégeps était de 16% supérieure à celle des profession­nels, «ce qui nous semble normal», indique-t-elle. Cependant, aujourd’hui, cet écart est de 36%. «On a donc l’impression que puisqu’une majorité de femmes occupent à présent les postes de profession­nel, ces fonctions sont maintenant moins bien rémunérées», indique Mme Therrien.

«Y a-t-il un lien direct? demande-t-elle. On n’en est pas encore rendus à conclure cela, mais disons qu’on se pose des questions. » Pour cette raison, le SPGQ cherchera à obtenir des explicatio­ns auprès des directions de collège.

Autre exemple : en l’an 2000, les profession­nels des cégeps gagnaient 21% de plus que les enseignant­s, alors qu’aujourd’hui, ces derniers gagnent 5% de plus. «Ça s’est donc renversé, constate la syndicalis­te. Notez qu’on n’a aucun problème avec le rattrapage dont bénéficien­t les enseignant­s, mais on se demande pourquoi nos profession­nels n’ont pas suivi. Que s’est-il donc passé?»

«Pour le moment, on ne comprend pas trop pourquoi, en moins de vingt ans, la situation a évolué dans ce sens, dit-elle. On n’est qu’au début de notre analyse et la seule constante qu’on voit, c’est que les emplois se sont féminisés.»

Avant de conclure, toutefois, le SPGQ cherchera à comprendre ce qui se passe réellement. «Nous souhaitons que l’employeur — c’est-à-dire le gouverneme­nt — nous fournisse des explicatio­ns», déclare Mme Therrien, qui souhaite en fait interpelle­r à ce sujet Lise Thériault, ministre responsabl­e de la Condition féminine.

Des milieux pourtant favorables

Le SPGQ représente plus de 25 500 employés de la fonction publique, des sociétés d’État, des réseaux de l’éducation et de la santé. Il peut s’agir d’actuaires, de bibliothéc­aires, d’arpenteurs ou d’administra­teur, mais aussi de chimistes, de comptables, d’ingénieurs forestiers ou encore de pédagogues ou de spécialist­es en réadaptati­on, en sciences de l’éducation et de travailleu­rs sociaux. «Nous représento­ns ceux et celles qui fournissen­t des informatio­ns et des conseils aux ministres afin que ceux-ci prennent les meilleures décisions possible », explique Manon Therrien.

«Je vous dirai que la fonction publique reste un choix de carrière pour ceux et celles pour qui la conciliati­on travail-famille est importante, ajoute-t-elle, puisqu’on peut souvent aménager notre temps de travail. »

En outre, le SPGQ serait l’un des rares syndicats où règne une quasi-parité entre hommes et femmes puisque environ 55% de ses membres sont féminins. « Nous sommes peut-être l’organisati­on syndicale la plus proche du 50-50, avance-t-elle. C’est intéressan­t, car ça nous donne une couleur particuliè­re et ça nous amène à faire des réflexions stimulante­s.»

Comme deuxième vice-présidente, Mme Therrien assume comme responsabi­lité les «dossiers féminins», à savoir l’accès à l’égalité, la conciliati­on travail-vie personnell­e, le harcèlemen­t sexuel et le sexisme. « Je défends donc l’intérêt des femmes, et l’un de mes principaux dossiers est celui de la féminisati­on des emplois profession­nels», préciset-elle.

Pourtant, même si le SPGQ oeuvre dans un contexte très favorable à l’équité et à l’égalité, la vice-présidente constate que la situation n’est pas facile pour autant pour les femmes. Ainsi, lance-t-elle: «Ce n’est pas parce que, dans notre syndicat, on est à peu près moitiémoit­ié hommes-femmes, que ça se reflète dans les instances. »

Femme et pouvoir

De fait, Manon Therrien observe que, malheureus­ement, même dans un syndicat formé à 55% de femmes, la participat­ion de celles-ci reste toujours difficile à obtenir.

« Souvent, la famille occupe la première place pour elles, ce que je ne remets nullement en question, rapporte Mme Therrien. Pour nombre de femmes, c’est toujours le dilemme entre s’impliquer dans son milieu et s’occuper de sa famille. »

Certaines femmes choisissen­t tout de même de s’engager, mais dans des postes moins demandants, «où elles vont laisser la place à d’autres [hommes] et être plutôt en soutien», déplore-t-elle. Mme Therrien s’empresse cependant d’ajouter que cela peut être un bon point de départ.

Elle constate aussi un certain manque de confiance en soi. Celle qui est pourtant la deuxième vice-présidente du SPGQ avoue avoir elle-même éprouvé ce manque de confiance en soi. « Je ne vous cacherai pas que j’ai été dans la même situation, dit-elle. On m’a demandé plusieurs fois de me présenter à des postes syndicaux et ça a pris du temps avant que j’accepte. »

Selon elle, on doit aussi prendre en compte la façon dont les femmes perçoivent le pouvoir. «Je pense qu’elles ne voient pas la plus-value qu’elles pourraient apporter et, par conséquent, malheureus­ement, elles ne s’impliquero­nt pas, déplore-t-elle. On devrait peut-être démystifie­r ce qu’est le pouvoir et, surtout, faire valoir ce que cela peut apporter », suggère-t-elle.

«Car après tout, on ne peut pas mettre 50% de la population de côté si on veut faire progresser notre société, lance-telle comme un cri du coeur. Et nous, comme syndicat, nous voulons contribuer à l’avancement de la société.»

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ISTOCK Le SPGQ représente plus de 25 500 employés de la fonction publique, des sociétés d’État, des réseaux de l’éducation et de la santé que ce soit des biblithéca­ires, des actuaires ou autres.
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Manon Therrien

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