Le Devoir

Espionnage Le Congrès enquêtera sur les accusation­s de Trump envers Obama

- FRÉDÉRIC AUTRAN à New York

Alors que l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection américaine embarrasse son ministre de la Justice, l’impulsif président Donald Trump a chargé de nouveau Barack Obama, l’accusant de l’avoir mis sur écoute. Une parade récurrente, qui le pose en victime de conspirati­ons démocrates.

Docteur Donald et Mister Trump. En l’espace de quelques jours, le président américain a offert deux visages diamétrale­ment opposés. Celui d’abord d’un homme apaisé, au ton sobre et rassembleu­r, devant le Congrès lors de son premier discours sur l’état de l’Union. Le 28 février, près de deux mois après son intronisat­ion, Donald Trump semblait pour la première fois incarner la solennité de la fonction présidenti­elle. Certains y voyaient déjà un tournant, l’avènement d’un «Trump nouveau», assagi et davantage focalisé sur sa promesse de «rendre sa grandeur à l’Amérique» que sur Twitter. Puis la machine s’est de nouveau grippée, et un visage plus familier du milliardai­re — susceptibl­e, paranoïaqu­e et impulsif — a fait son retour. La faute à un énième rebondisse­ment dans le feuilleton des soupçons d’ingérence de Moscou dans la campagne électorale américaine.

Dès le lendemain du discours au Congrès, le Washington Post a en effet révélé que le ministre américain de la Justice, Jeff Sessions, avait rencontré deux fois en 2016 l’ambassadeu­r de Russie aux États-Unis. Lors de son audition devant le Sénat, en janvier, il assurait pourtant n’avoir eu «aucun contact» avec des responsabl­es russes au cours de la campagne. Sous la pression du camp démocrate, exigeant sa démission, mais aussi de certains républicai­ns réclamant des explicatio­ns, Jeff Sessions a choisi de se dessaisir de toute enquête en cours ou à venir liée à la campagne présidenti­elle.

Selon des sources à la Maison-Blanche, citées par plusieurs médias américains, cette affaire Jeff Sessions a provoqué la colère noire de Trump, furieux que les déboires de son ministre aient brisé net l’élan médiatique né de son

inter vention au Capitole. «Personne ne l’a jamais vu aussi contrarié», confiait ce week-end une source anonyme à CNN. La chaîne câblée, tête de Turc du chef de l’État, a diffusé les images de discussion­s visiblemen­t animées, vendredi dans le Bureau ovale, entre les membres de la garde rapprochée du président, dont sa fille Ivanka, son gendre Jared Kushner et son conseiller stratégiqu­e Steve Bannon.

«C’est du maccarthys­me!»

Après cette réunion, Donald Trump s’est à nouveau envolé pour la Floride et son club privé de Mara-Lago, la «Maison-Blanche d’hiver». C’est de là-bas que, samedi matin à son réveil, le président a tiré une salve anti-Obama sur Twitter. «Terrible! Je viens de découvrir qu’Obama avait mis mes lignes sur écoute dans la Trump Tower juste avant ma victoire. Rien n’a été découvert. C’est du maccarthys­me!», at-il d’abord écrit, peu après 6h30. Trois autres messages ont été postés dans les minutes suivantes, dont l’un comparant la situation au scandale du Watergate sous Nixon et reprochant à Barack Obama d’être un «type mauvais (ou malade)».

Selon toute vraisembla­nce, les tweets du président faisaient suite à la publicatio­n d’un article du site Breitbart, relayant les propos d’un animateur conservate­ur accusant Obama d’avoir exécuté « un coup d’État silencieux» contre Trump en utilisant les tactiques d’un « État policier ». Depuis samedi matin, Donald Trump n’a présenté aucune preuve de ses accusation­s. Mais dimanche, il a demandé au Congrès d’enquêter pour savoir si

la Maison-Blanche version Obama avait « outrepassé » ses « pouvoirs d’enquête » en 2016. Dans l’entourage de l’ex-chef d’État, on dément catégoriqu­ement. « Ni le président Obama ni aucun responsabl­e de la Maison-Blanche n’ont jamais ordonné la surveillan­ce d’un quelconque citoyen américain», a indiqué un de ses porte-parole.

Sur le fond, une question demeure: la Trump Tower, domicile et quartier général du candidat républicai­n, a-t-elle effectivem­ent été placée sous surveillan­ce lors de la campagne présidenti­elle? Trump l’affirme. Il assure que «ses téléphones» ont été mis sur écoute et s’interroge sur la «légalité» de cette pratique en plein «processus électoral très sacré». En réalité, ces informatio­ns ne sont pas nouvelles. Une semaine avant l’investitur­e de Trump, la BBC avait révélé l’existence d’un groupe de travail gouverneme­ntal chargé d’enquêter sur de possibles liens — notamment financiers — entre la campagne Trump et deux banques russes proches du Kremlin. Ce groupe était composé d’agents du FBI, de la NSA, de la CIA et des ministères de la Justice et du Trésor. Selon la BBC, après deux refus au cours de l’été 2016, les enquêteurs auraient finalement obtenu mi-octobre de la part d’un juge de la Fisa (la cour fédérale chargée du renseignem­ent) un mandat les autorisant à mettre en place une opération de surveillan­ce. À ce jour, ces informatio­ns n’ont jamais été confirmées de source officielle. Ironiqueme­nt, par sa salve matinale sur Twitter, Trump a peut-être confirmé qu’un juge fédéral, estimant avoir assez d’éléments à charge, avait autorisé les agences de renseignem­ent à placer sur écoute certains membres de son équipe.

«Avantage politique»

En accusant Barack Obama de

l’avoir espionné, Donald Trump espérait allumer un contre-feu pour faire oublier l’affaire Sessions. Au lieu de ça, il ne fait qu’alimenter lui-même le feuilleton et la suspicion, tout en confirmant son obsession pour son prédécesse­ur. Le magnat de l’immobilier a lancé sa carrière politique en prenant la tête du mouvement raciste des «birthers», qui remettait en cause la nationalit­é américaine du premier président noir des États-Unis. Depuis, Trump continue d’alimenter les théories du complot, et Obama n’est jamais très loin. Les manifestat­ions anti-Trump? Fomentées et financées par son prédécesse­ur. Les fuites qui minent son gouverneme­nt? Orchestrée­s par d’anciens membres de l’administra­tion Obama. La foule éparse présente à son investitur­e? Un mensonge relayé par des médias à la botte des démocrates. Dépeindre Barack Obama comme un conspirate­ur déterminé à le faire échouer présente « un avantage politique » pour Donald Trump, résume le site Politico. Car Obama «est une figure toujours aussi exaspérant­e pour la base républicai­ne et les médias pro-Trump qui ont porté la campagne du président ».

Fédérer ses troupes autour d’un ennemi commun pour faire oublier ses propres insuffisan­ces: la méthode est vieille comme le monde politique. Sauf que, cette fois, Trump semble sincèremen­t convaincu que sa présidence est victime d’une «chasse aux sorcières» orchestrée par son prédécesse­ur et, plus largement, par ses adversaire­s. «Trump se sent assiégé par ce qu’il considère comme une bureaucrat­ie majoritair­ement hostile, composée en partie de démocrates et de gens opposés à son élection qui cherchent désormais à saper sa présidence par l’intermédia­ire de fuites », écrivait vendredi Maggie Haberman, l’une des correspond­antes du New York Times à la Maison-Blanche.

Tout au long de sa campagne, et plus encore depuis son élection, Donald Trump n’a cessé d’alimenter les théories du complot, fonds de commerce des médias ultraconse­rvateurs, à commencer par Breitbart. De la «fraude électorale massive » qui l’aurait privé de recueillir la majorité des voix lors de la présidenti­elle à l’espionnage ordonné par Obama, en passant par les «manifestan­ts rémunérés», et la mauvaise foi des médias à propos de la maigre foule qu’il a rassemblée lors de son intronisat­ion ou le nombre réel d’attentats terroriste­s, Trump surfe sur la vague des «faits alternatif­s». « Les théories du complot ont toujours fait partie de la politique américaine», reconnaît Julian Zelizer, professeur d’histoire et d’affaires publiques à l’université de Princeton. « Mais l’utilisatio­n du complot par le président des États-Unis comme un élément central de son discours est extraordin­airement dangereux», ajoute-t-il dans une tribune publiée samedi sur CNN.com, reprochant au président de «donner du crédit et de la légitimité » à des théories «qui génèrent de la colère, de la méfiance et une totale désinforma­tion».

Violemment attaqué, Obama n’a pour l’heure pas réagi. Contrairem­ent à son entourage. «Ce ne sont pas les inepties quotidienn­es de Trump qui m’inquiètent, mais la perspectiv­e qu’il puisse être guidé par ses théories du complot et sa paranoïa lors d’une véritable période de crise, a confié à Politico Bill Burton, ex-attaché de presse du président démocrate. Le reste, ce ne sont que les grommellem­ents d’un homme profondéme­nt dépassé.»

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NICHOLAS KAMM AGENCE FRANCE-PRESSE Trump a demandé dimanche au Congrès d’enquêter sur d’éventuelle­s écoutes de ses téléphones.
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