Le Devoir

Immigrante­s et autochtone­s, doublement discriminé­es en emploi

- VÉRONIQUE DE SÈVE Vice-présidente de la Confédérat­ion des syndicats nationaux (1) Ruth Rose, Les femmes et le marché du travail au Québec: portrait statistiqu­e, 2016.

Le travail est un puissant instrument d’intégratio­n. Il permet à l’individu d’accéder à l’autonomie, de jouer un rôle concret sur le plan économique et il s’avère souvent, à tort ou à raison, un outil de reconnaiss­ance sociale. Le Rendez-vous national sur la maind’oeuvre qui s’est tenu récemment, organisé par le gouverneme­nt québécois, était l’occasion de nous le rappeler. Or, les compressio­ns massives qui s’abattent sur le Québec depuis l’élection des libéraux et la précarisat­ion généralisé­e de l’emploi accentuent la difficulté, pour de nombreuses personnes, de gagner un salaire décent ou simplement d’accéder au marché du travail. Parmi elles, les immigrante­s et les femmes autochtone­s accusent un retard sur le reste de la société en matière d’insertion profession­nelle.

Il faut remonter à 2010 pour avoir des statistiqu­es parlantes sur le sujet. Cette rareté dans les chiffres n’est pas étonnante. Elle traduit le désintérêt de l’État à l’égard de problèmes rencontrés par les femmes issues de communauté­s culturelle­s. Souvenons-nous qu’il a fallu des années au gouverneme­nt fédéral pour sortir de l’indifféren­ce et lancer enfin une commission d’enquête sur les femmes autochtone­s disparues ou assassinée­s. Le premier ministre Couillard s’est également fait tirer l’oreille avant de finalement consentir à tenir une enquête sur le comporteme­nt policier et les violences de tout acabit notamment à l’égard des femmes autochtone­s.

Sur le plan profession­nel, les personnes immigrante­s se heurtent depuis longtemps à des écueils structurel­s, comme la non-reconnaiss­ance des diplômes ou les problèmes de chômage. De façon générale, en 2010, seulement 65% des femmes immigrante­s ont réussi à se trouver un emploi, par rapport à 78% des hommes immigrants. Chez les non-immigrants, les pourcentag­es sont de 80% chez les femmes et de 84% chez les hommes. Quels que soient leur niveau de scolarité ou leur origine, les revenus d’emploi des femmes se situent entre 72% et 85% de ceux des hommes. Ainsi, les femmes appartenan­t à une minorité visible ont gagné 38 097$ en 2010 et les femmes autochtone­s 40 111$. À titre comparatif, les femmes blanches ont quant à elles gagné 44 533$, les immigrants 46 689 $, les autochtone­s 50 745 $ et les hommes blancs 57 094$. En d’autres termes, les femmes immigrante­s ou autochtone­s subissent une double discrimina­tion en raison de leur sexe et de leur origine (1). La Commission des droits de la personne parle même de triple discrimina­tion dans le cas des travailleu­ses domestique­s immigrante­s (sexe, origine et condition sociale).

Ne jouons pas à l’autruche: la société québécoise entretient à certains égards la discrimina­tion et le racisme systémique­s. Il ne s’agit pas tant d’accuser les individus, mais de reconnaîtr­e que certaines pratiques, souvent inconscien­tes, ont des effets discrimina­toires. Nous devons collective­ment tout mettre en oeuvre pour rejeter ces formes d’inégalités à l’endroit des personnes issues de la diversité. À cet égard, la situation en emploi des femmes immigrante­s et autochtone­s doit particuliè­rement retenir notre attention. C’est la condition sine qua non d’un Québec plus juste, plus inclusif et plus fort.

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