Le Devoir

L’urbanisme québécois se porte mal

- LUC-NORMAND TELLIER Professeur émérite, Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es

J’aurai consacré toute ma vie profession­nelle à l’enseigneme­nt de l’urbanisme. J’aurai fondé le Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es de l’UQAM, il y a quarante ans, et conçu le tout premier baccalauré­at en urbanisme de l’histoire du Québec. Je crois profondéme­nt à l’urbanisme, mais je me demande de plus en plus souvent si l’urbanisme québécois n’aurait pas fait fausse route.

Ce dernier a su se faire entendre et obtenir des législatio­ns qui ont permis à la profession de grandement se développer. L’urbanisme démocratiq­ue a pris racine. Des groupes de pression citoyenne se sont constitués et savent se faire entendre. Les référendum­s municipaux leur ont parfois servi de dernier recours. Les colloques et les publicatio­ns se sont multipliés.

Cela dit, les interventi­ons des uns et des autres sont généraleme­nt réactives et négatives. On s’oppose à tel ou tel projet. On monte au créneau. On crie au scandale face à des projets de démolition ou de constructi­on. On dénonce certaines législatio­ns ou on en réclame de nouvelles.

De fait, notre société a accouché de deux types d’urbanistes: les «vocaux», qui critiquent sans cesse et déchirent leur chemise en public, et les « silencieux », qui engrangent les contrats et les promotions, qui font du fric et, parfois, se compromett­ent avec des promoteurs peu scrupuleux.

On pourrait croire que «vocaux» et «silencieux» sont ennemis. Il n’en est rien. Les «vocaux» donnent une certaine vertu de façade à l’urbanisme québécois et les « silencieux » en ti- rent profit. Les uns et les autres s’entendent comme larrons en foire.

Étalement urbain

Pendant ce temps-là, l’urbanisme au Québec se porte plutôt mal. L’étalement urbain y règne en maître. En 1901, selon Hodgetts (1912), Montréal était plus densément peuplée que 70 autres grandes villes comparable­s du monde. Or, actuelleme­nt, l’île de Montréal a, à peu près, la densité de population de la ville-centre de Los Angeles qui est l’exemple classique, entre tous, de la ville étalée.

L’agglomérat­ion du Greater Los Angeles a, en effet, une densité moyenne 106 fois supérieure à celle de l’agglomérat­ion de Bogotá. Si l’île de Montréal avait la densité de population de l’agglomérat­ion de Bogotá, on pourrait mettre sur cette île 2,8 fois la population totale actuelle de la Communauté métropolit­aine de Montréal et 6,1 fois la population actuelle de l’île de Montréal.

Partout au Québec, la planificat­ion des transports s’est faite au détriment de la planificat­ion urbanistiq­ue, et cette dernière a pris un caractère essentiell­ement bureaucrat­ique, les décisions ayant un impact réel sur les tissus urbains relevant de politicien­s, de promoteurs et de magouilleu­rs dont l’urbanisme est le dernier souci quand ils en ont la moindre notion.

On a, de bonne foi, mis en place une loi de protection des territoire­s agricoles pour freiner l’étalement urbain. Il y a d’excellente­s raisons de croire qu’elle n’a rien freiné du tout. Tout au plus a-t-elle pu favoriser certaines manoeuvres licites ou illicites. On a, de bonne foi, mis en place des structures de planificat­ion sophistiqu­ées, mais « les vraies affaires» restent entre les mains d’affairiste­s et de politicien­s trop souvent peu soucieux d’urbanisme.

Après toutes ces années, le constat est le suivant : la circulatio­n à Montréal (et même de plus en plus à Québec) est chaotique; l’aéroport de Montréal n’est toujours pas relié au centre-ville par rail; le Vieux-Montréal est encore plein de trous et très mal exploité; les campagnes environnan­t Montréal ont été saccagées par l’étalement urbain; l’architectu­re montréalai­se est de qualité médiocre et manque d’homogénéit­é; et toutes les idées nouvelles qui ont mis les autres villes mondiales «sur la carte» ont été mises de côté à Montréal, que l’on parle de péage urbain, de parking cash out (par lequel les employeurs sont amenés à facturer le vrai coût des espaces de stationnem­ent destinés à leurs employés tout en versant à ces derniers un montant forfaitair­e pour leur déplacemen­t jusqu’au travail), de ceinture verte ou de tramways modernes.

Seul a trouvé grâce à nos yeux le transitori­ented developmen­t dont les développeu­rs se sont emparés pour donner un vernis urbanistiq­ue responsabl­e à l’étalement urbain dont ils font leur pain et leur beurre. Pendant ce temps-là, Montréal perd un comté au provincial, alors que la banlieue en gagne deux, les services hospitalie­rs sont plus difficiles d’accès au centre qu’en périphérie de l’agglomérat­ion, les navetteurs de l’agglomérat­ion montréalai­se passent une bonne partie de leur vie dans des bouchons automobile­s et nous nous demandons si quelques référendum­s de plus ou de moins changeraie­nt quelque chose à cette désolation…

Partout au Québec, la planificat­ion des transports s’est faite au détriment de la planificat­ion urbanistiq­ue

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