Scandale russe à Washington
FRANÇOIS BROUSSEAU
L’administration Trump a-t-elle partie liée avec le Kremlin, d’une manière inavouable ? Les preuves de contacts répétés entre des officiels russes et l’entourage de M. Trump — remontant à l’époque pas si lointaine où il n’était qu’un candidat à l’investiture républicaine, ou encore un président en devenir — se multiplient, dans la foulée du piratage informatique contre le Parti démocrate. Ce piratage avait mené à des «révélations», pas forcément scandaleuses, mais qui ont pu — de manière marginale mais décisive — affaiblir la candidature d’Hillary Clinton. Des noms émergent dans l’actualité… Celui de Sergueï Kislyak, ambassadeur russe à Washington depuis huit ans et demi, dont l’accueillant salon, à deux pas de la Maison-Blanche, a été très fréquenté, au cours des derniers mois, par l’auguste aréopage de M. Trump.
Celui de Michael Flynn, éphémère conseiller à la sécurité nationale, démissionnaire à la mifévrier parce qu’il avait «oublié» des conversations répétées avec l’ambassadeur. Ceux de Carter Page, actif dans le pétrole, ex-conseiller en politique étrangère du candidat Trump, et de Roger Stone, responsable du Parti républicain… tous deux faisant l’objet d’une enquête du FBI pour collusion avec des responsables russes lors de la campagne électorale. Ou encore de l’avocat Michael Cohen, mêlé à des pourparlers en vue de lever les sanctions américaines contre la Russie, relativement à l’annexion de la Crimée en 2014.
Sans oublier Paul Manafort, président de la campagne Trump en 2016 et ex-consultant politique en Ukraine (pour l’ancien président Ianoukovitch, allié de Moscou chassé par le mouvement Maïdan à l’hiver 2013-2014).
Ou Jeff Sessions, réactionnaire sudiste, républicain radical, nouveau secrétaire à la Justice qui lui aussi a eu des trous de mémoire sur ses contacts avec M. Kislyak. M. Sessions vient de se récuser dans l’enquête qui sera ouverte sur ces conversations et leur contenu: c’est le moins qu’on puisse attendre… de la part d’un ministre de la Justice directement mis en cause !
Des contacts occasionnels d’officiels américains — ou de futurs officiels — avec un ambassadeur ou des représentants d’une puissance étrangère ne sont en soi ni scandaleux, ni exceptionnels. Cependant, il y a ici bien plus…
Il y a le volume d’activités, de rencontres, de conversations, rapprochées dans le temps, par des gens dont plusieurs n’étaient encore que des conseillers d’élection, et dont certains ne deviendront des officiels américains que plus tard. Il y a le contexte du piratage informatique russe (selon le renseignement américain) – une analyse combattue… puis finalement admise par Donald Trump lui-même! — contre l’adversaire démocrate, adversaire commun à MM. Trump et Poutine.
Il y a les intérêts matériels, en Russie, de nombreux membres de la nouvelle administration. Les hésitations, les oublis, les mensonges des premiers intéressés lorsqu’on les a questionnés sur tous ces liens… Et puis, cette sympathie singulière entre deux hommes étrangement ressemblants, soucieux de leur image et de leur pouvoir davantage que de démocratie. Deux leaders qui se fascinent mutuellement.
Enfin, les énormes incohérences d’un Trump au fil de ses déclarations sur la Russie :
Interviewé à Moscou pour le concours Miss Universe de 2013: «J’ai une relation particulière avec la Russie.» Lors d’un déjeuner au National Press Club à Washington: «J’ai parlé indirectement et directement avec le président Poutine, qui n’aurait pas pu être plus agréable.» Pendant la campagne présidentielle: « Je n’ai jamais rencontré Poutine, je ne sais pas qui est Poutine.» Par tweet : «Je n’ai rien à voir avec la Russie.» En 2008, son fils Donald Junior: «Nous avons en Russie une part disproportionnée de nos investissements»… chose impossible à corroborer aujourd’hui, puisque Trump refuse de rendre publics ses documents relatifs à l’impôt.
Voilà qui crée un puissant faisceau de présomptions, une extraordinaire dépendance potentielle des États-Unis envers une puissance rivale.
La «lune de miel» entre Trump et la Russie se verra peut-être contredite, à la longue, par le sillon de la «continuité malgré tout» dans la politique étrangère américaine. C’est ce que peuvent suggérer des déclarations récentes, à Washington et au Conseil de sécurité, sur des sujets comme la Syrie, l’Ukraine ou l’OTAN.
Mais l’influence, voire la capacité de chantage, de Moscou envers le candidat Trump et ses amis, envers le nouveau président américain… voilà qui reste profondément troublant.