L’exil laborieux des opposants russes en Ukraine
Quand l’opposant russe Alexeï Vetrov a compris qu’il pourrait terminer en prison dans son pays, la solution s’est imposée d’elle-même: se réfugier en Ukraine, « ennemi » de la Russie. Mais après trois ans d’exil, il est déçu par l’accueil qui lui a été réservé.
Première déconvenue: sa demande d’asile politique a été rejetée. Et les barrières administratives l’empêchent d’obtenir un statut légal en Ukraine. «J’espérais qu’au moins dans ce pays, je pourrais échapper à toute cette absurdité criminelle et commencer à construire la démocratie, mais on ne m’a jamais donné cette chance», raconte à l’AFP Alexeï Vetrov, 37 ans.
Comme lui, quelque 400 ressortissants russes, journalistes ou hommes d’affaires, ont fui en Ukraine, séduits par l’arrivée au pouvoir d’autorités pro-occidentales dans la foulée de la chute du président prorusse, Viktor Ianoukovitch.
M. Vetrov organisait de nombreuses manifestations de l’opposition à Nijni Novgorod, à 400km à l’est de Moscou. En représailles, accuse-t-il, les autorités locales ont fermé sa petite société de vente de téléphones portables et ont menacé de l’arrêter.
Dès son arrivée en Ukraine, il a demandé l’asile politique. Mais sa demande a été rejetée par les ser vices d’immigration, une décision confirmée à plusieurs reprises par la justice.
« Un représentant des services d’immigration a déclaré devant le tribunal que la Russie était un État démocratique et qu’aucune pression sur l’opposition n’était possible là-bas», explique M. Vetrov, sur un ton sarcastique.
Alexeï Vetrov n’a désormais ni permis de séjour ni permis de travail. Il craint d’être expulsé en Russie, même si les chances de coopération entre les deux pays, à couteaux tirés depuis l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 et l’éclatement d’un conflit armé dans l’Est ukrainien entre les forces de Kiev et les rebelles prorusses, sont maigres.
À l’instar des espoirs brisés d’Alexeï Vetrov, les autorités pro-occidentales ukrainiennes ont provoqué de nombreuses déceptions chez les opposants au Kremlin en exil en Ukraine.
En avril 2015, le président Petro Porochenko avait ainsi promis de faciliter la procédure de l’acquisition de la nationalité ukrainienne : il l’a aussitôt accordée à une poignée de Russes qui affirmaient être harcelés dans leur pays pour leurs opinions politiques.
Mais dès que le nombre de candidats a augmenté, le processus a paru se gripper: seuls une quinzaine de Russes ont obtenu la nationalité ukrainienne au cours de ces deux dernières années.
«Nous effectuons toutes les vérifications nécessaires, y compris pour les Russes», justifie auprès de l’AFP un porte-parole des services d’immigration, Sergiy Gounko, mettant notamment en avant le besoin d’agir en conformité totale avec la convention de l’UE sur les réfugiés.
En Russie, Pavel Chlekhtman risquait jusqu’à cinq ans de prison pour avoir publié un message de soutien à l’Ukraine sur les réseaux sociaux. Il a fui à Kiev, où sa demande d’asile a également été rejetée.
«Les services d’immigration ont conclu que je n’étais pas poursuivi en Russie pour des motifs politiques», a indiqué à l’AFP M. Chlekhtman, 49 ans.
Malgré leur opposition au Kremlin, les militants russes sont considérés par les autorités ukrainiennes comme de potentiels espions, regrettent les ONG de défense des droits de la personne.
Autre obstacle à l’obtention d’un statut légal en Ukraine : la lenteur des services d’immigration, très bureaucratisés.
Pour autant, de nombreux refus de demande d’asile restent « inexplicables », dénonce Maksym Boutkevytch, qui aide les demandeurs russes avec l’ONG Sans frontières.
Souvent, les services d’immigration rejettent la demande, même si un tribunal a confirmé que cette personne avait le droit à un asile, ajoute-t-il.
Selon M. Boutkevytch, le nombre de demandes d’asile acceptées en Ukraine est «bien plus faible» que dans les pays voisins comme la Pologne, la Slovaquie ou la Hongrie. «Il n’existe aucune garantie d’obtenir la protection en Ukraine», regrette-t-il.