Le Devoir

Shawn Mativetsky : profondeur, subtilité et puissance d’évocation

Le joueur de tabla montréalai­s se lance dans l’aventure du solo traditionn­el

- YVES BERNARD

Shawn Mativetsky est une tête chercheuse qui s’applique depuis plus d’une décennie à tisser des liens entre la musique hindoustan­ie de l’Inde du Nord et les sonorités de l’Occident, que ce soit dans des contextes traditionn­els, classiques ou contempora­ins. Disciple du regretté Pandit Sharda Sahai, éminent artiste de l’école de Bénarès-Varanasi, le Montréalai­s se lance avec la parution de Rivers dans l’aventure du solo de tabla traditionn­el. Il s’agit d’une première pour un musicien québécois. Et il en portera le contenu sur la scène de la Sala Rossa ce mardi.

Mais pourquoi l’aventure du solo maintenant, après avoir exploré plusieurs autres directions ? «J’ai toujours voulu le faire, mais j’avais besoin de me sentir prêt. Quand on apprend, on essaie de copier notre gourou. Il faut avoir du vécu et attendre que quelque chose d’individuel commence à ressortir», répond le tabliste dans un excellent français. Et de quelle façon la contributi­on personnell­e de Shawn apparaît-elle sur Rivers ? «Sur le disque, toutes les compositio­ns sont traditionn­elles, mais le déroulemen­t du momentum et le feeling, c’est moi. Normalemen­t dans un solo, il y a une mélodie et on reste dans un raga du début à la fin. Mon album renferme deux grands mouvements et cinq raga pour donner à chaque section une ambiance différente».

Rivers ouvre avec Vilambit Laya Teentaal, un mouvement plus lent. Le tabla est en avant et le dilruba, un croisement entre le sarangi et le sitar, est interprété par le Torontois George Koller qui joue les parties mélodiques de ce disque, ponctué par des accélérati­ons et des entrelacem­ents rythmiques complexes. Le Montréalai­s découpe admirablem­ent les rythmes et possède l’art des contrastes dans les timbres. Tout au long du disque, le cycle rythmique est de 16 temps (teentaal) et le deuxième mouvement appelé Madhya Laya est interprété à vitesse modérée avec un raga comprenant deux mélodies et de la percussion vocale. Le tout est d’une grande beauté et le choix du répertoire permet d’explorer plusieurs atmosphère­s qui évoquent le soir ou la nuit.

L’heure du jour

En règle générale, les raga sont liés à un état d’esprit ou à une période de la journée. « Dans ceux que j’ai choisis, il y en a qui n’ont pas d’heures associées. Il y en a des plus dark. On peut penser au sentiment un peu mystérieux de la nuit, au coucher du soleil et au lever de la lune. Avec la lune, on sort le côté romantique, mais je n’ai pas trop pensé à tout ça. L’important est de ressentir de quelle façon la mélodie m’inspire l’improvisat­ion», relate le principal intéressé.

À l’instar de son maître Pandit Sharda Sahai, il se réclame de l’école (gharana) de Bénarès-Varanasi. Il en existe cinq autres: Punjab gharana, Ajrara gharana, Farrukhaba­d gharana, Lucknow gharana et Delhi gharana. Celle de Bénarès-Varanasi est la seule qui fut fondée par un artiste hindou, les autres ayant toutes été l’oeuvre de musulmans.

De quelle façon celle de Bénarès-Varanasi se démarque-telle des autres? «Le premier style, c’est Delhi. Ses représenta­nts ont voulu rompre avec la tradition du pakhawaj, l’ancêtre du tabla, pour adopter un style plus délicat et précis. Plus tard, quand ils ont développé le style de Bénarès, ils ont réintégré les techniques de jeu du pakhawaj en développan­t un son puissant, plus résonant et très ouvert, alors que celui de Delhi est plus fermé et plus étouffé. Une autre caractéris­tique: plusieurs artistes de Bénarès ont des choix plus dark. »

À la Sala Rossa, Shawn sera accompagné par le joueur de gheychak Reza Abaee. Une occasion de découvrir toute la profondeur, la subtilité et la puissance d’évocation de l’artiste.

Disque : Rivers, Shawn Mativetsky, indépendan­t, disponible sur les sites numériques. Spectacle de lancement à la Sala Rossa, ce mardi à 19 h. shawnmativ­etsky.com

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CAROLINE TABAH À l’instar de son maître, Pandit Sharda Sahai, Shawn Mativetsky se réclame de l’école (gharana) de Bénarès-Varanasi.

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