Conciliation foi-féminisme
Est-il possible d’être à la fois croyante et féministe? D’avoir la foi sans être aliénée? Pour plusieurs féministes, ces deux mondes sont impossibles à conjuguer. Or, les femmes qui tentent d’harmoniser leurs convictions féministes avec leur religion doivent mener un double combat: mener une critique constructive à l’intérieur même de leur communauté de foi, puis résister aux attaques des religiophobes qui les accusent de pactiser avec le diable.
«Il y a bien sûr de la misogynie dans la religion, comme partout ailleurs. Mais il faut voir comment cette misogynie s’est construite pour savoir comment la changer. Et ensuite, on doit faire des choix. Mon choix a été de ne pas laisser ma spiritualité entre les mains des personnes qui ne me ressemblent pas et dont les valeurs ne sont pas les miennes», m’a confié Sonia Sarah Lipsyc, directrice du Centre d’études juives contemporaines de la communauté Sépharade unifiée du Québec. Sonia Sarah savait, au départ, que ses vues sur le judaïsme ne feraient pas consensus chez ses coreligionnaires. Mais à ses yeux, la réinterprétation des textes sacrés pour y inclure la place des femmes est un travail essentiel. «Les femmes doivent ouvrir les capots des voitures et s’y intéresser si elles ne veulent pas que les hommes soient les seuls chauffeurs. C’est pourquoi il faut s’investir dans l’étude des textes et leur utilisation.» Aujourd’hui, son identité juive est indissociable de son identité féministe. Elle est d’abord et avant tout une « féministe juive ».
Un même désir de synthèse se retrouve chez Sabrina Di Matteo. Dirigeant la communauté chrétienne universitaire Espace Benoît Lacroix depuis cinq ans, elle explique que dans sa conception de la foi, on a « le droit de faire une lecture féministe des textes sacrés». Sabrina a trouvé son inspiration chez des croyantes catholiques qui ont eu un fort impact sur l’avancement des droits des femmes: de la musicienne et abbesse Hildegarde de Bingen à la syndicaliste Simonne Monet-Chartrand, en passant par les Soeurs grises et les fondatrices de Montréal. C’est au cours de ses études au baccalauréat en théologie qu’elle a découvert que son féminisme pouvait et devait coexister avec sa foi.
Pour sa part, Asmaa Ibnouzahir, auteure de Chroniques d’une musulmane indignée, raconte avoir été exposée pour la première fois à un discours musulman féministe en 2005 lors d’un événement tenu par un groupe communautaire musulman. Quelqu’un y dénonçait l’instrumentalisation de la religion à des fins patriarcales. Elle s’est d’emblée reconnue dans ce discours critique et elle n’hésite pas aujourd’hui à interpeller spécialistes et responsables d’institutions religieuses sur les droits des femmes. Mais elle constate par ailleurs avec amertume la stigmatisation subie par les femmes croyantes, et tout particulièrement les musulmanes. «Tout ce qui est relié à la foi est vu comme dépassé. » Le jugement est encore plus féroce lorsqu’il s’agit des religions minoritaires. «Le Québec est surtout allergique à la religion des autres », poursuitelle, comme en témoigne l’attachement de plusieurs Québécois aux crucifix dans les lieux publics, que ce soit à l’Assemblée nationale, dans des hôpitaux ou des hôtels de ville. Une laïcité à deux vitesses.
En effet, au Québec, nous avons jeté le bébé avec l’eau (bénite) du bain. Depuis la Révolution tranquille, notre rejet des institutions catholiques autoritaires et abusives nous a conduits à rejeter le religieux en bloc. Et le jugement est encore plus méprisant à l’encontre des musulmanes depuis au moins une décennie au Québec. Pourtant, le clivage entre féministes athées et féministes croyantes n’a aucune raison d’être. Il suffit de côtoyer des femmes de foi pour réaliser que croire n’est pas un acte de renonciation à son libre arbitre. Il est impératif de favoriser l’expression de paroles féministes plurielles et de promouvoir le dialogue entre elles.
Sonia Sarah, Sabrina et Asmaa sont des femmes qui, comme plusieurs autres, assument leur féminisme et leur foi. Cette conjugaison ne se fait pas sans heurts ou contradictions. Elles travaillent sans relâche, à la fois contre les interprétations sexistes des textes sacrés, pour l’égalité entre les sexes ainsi que pour le respect de leur foi. Déterminées à moderniser le paradigme religieux, ces femmes nous rappellent que les enjeux d’interprétation sont avant tout des enjeux de pouvoir. Nous devons soutenir leur lutte et les inclure dans le combat féministe. Porteuses d’une parole habitée autant par la foi que par la soif d’égalité, elles contribuent simultanément à l’évolution de la pensée féministe et à un monde plus tolérant.
Le clivage entre féministes athées et féministes croyantes n’a aucune raison d’être